4 livres par pied carré




























(…) J'ai parlé à l'homme de la démolition du barrage Embry sur le Rappahannock, et des deux essais qu'elle a nécessité. Je lui ai demandé si 600 livres (300kg) d'explosifs faisaient beaucoup. Il m'a demandé si le reportage mentionnait le type d'explosif qui avait été utilisé.
« Non.
- La plupart du temps, a-t-il dit, les reportages restent génériques pour éviter que les mauvaises personnes (les bonnes selon moi) aient l'information.
- Un gamin en Californie du Sud tenait un site web appelant à la révolution, ai-je dit, il avait aussi une page où les visiteurs de son site pouvaient ajouter des liens. Un gosse de riche bien de droite a ajouté un lien sur une page décrivant comment fabriquer les explosifs. Le lien n'était même pas si explicite que ça, il ne contenait rien qu'on ne trouve déjà sur des sites comme howthingswork.com, loompanics.com, bombshock.com, totse.com, ou même amazon.com. Mais à cause de ce lien le gamin révolutionnaire a été condamné à un an de prison.
- Je ne vois pas pourquoi, a-t-il dit .
- C'était sur son site, ai-je rétorté.
- Mais c'était juste un lien, insiste-t-il. Si ils voulaient arrêter quelqu'un, pourquoi n'ont-ils pas arrêté la personne qui l'a posté ? Et pourquoi, alors, ils n'ont pas épinglé les gens de loompanics.com. Et que dire alors des militaires américains ?
- Et bien premièrement, ai-je répondu, les fédéraux voulaient de toute façon épingler ce gars. Donc ils ont pris ce qu'ils ont trouvé. Si cela n'avait pas été pour ça, ils l'auraient épinglé pour autre chose, comme traverser une rue en dehors des passages piétons. Deuxièmement, et c'est le plus important, ils n'ont pas arrêté le posteur du lien ni les gens de loompanics parce qu'ils ne parlent pas de révolution. Vous pouvez parler de violence tant que vous voulez, tant que vous ne mentionnez pas le changement social. (…) De même vous pouvez parler de changement social tant que vous voulez tant que vous ne mentionnez pas la violence. Mais vous ne pouvez jamais parler des deux ensemble.
- Pourquoi pas, a-t-il demandé ?
- C'est le prémisse 4, mec, ai-je répondu. C'est exactement la raison pour laquelle les militaires peuvent apprendre à tant de gens à fabriquer et utiliser des explosifs, et ensuite tout exploser partout dans le monde. La violence est envoyée de la hiérarchie. Et c'est pour ça que les entreprises minières peuvent apprendre aux gens comment fabriquer et utiliser des explosifs pour les mines. La violence vient de la hiérarchie. Mais si vous mentionnez les explosifs et la possibilités de les utiliser contre la hiérarchie, vous devez être puni. »
(…)
Il dit : « En général, les explosifs sont calculés en fonction du trinitrotoluène (TNT), donc si la composition C-4 (variété d'explosif de la famille des plastiques) est 2.5 fois plus puissante que le TNT, alors 600 livres correspondraient en fait à 240 livres ou 30 blocs de C-4, ou un explosif de composition C. Je pense que pour ce barrage ils ont dû employer du C-4 commercial. Si le 1er essai a échoué c'est probablement un problème de court-circuit, un des fils s'est mouillé et n'a pas fonctionné.
- C'est une grosse quantité ?.
- 600 livres de TNT, non pas tant que ça. Si je le voulais je pourrais m'en procurer.
- Comment, le trafic d'armes ?
- Ouh non, mon dieu. Si vous entrez dans ces cercles-là vous risquez gros (…). Si je devais le faire, je m'en procurerais directement dans les mines, les carrières.
- Sérieux ?
- Beaucoup de carrières ont leur matos sur place. Cela dépend des sites. Certains sécurisent plus que d'autres. Mais il faut savoir qu'à cause de la nature volatile des explosifs, on évite de les stocker dans des bâtiments. C'est commode du coup, le stockage est vulnérable.
- Je n'y connais rien là-dedans.
- N'importe qui peut trouver des explosifs. Tout ce que vous avez à faire est de prêter attention à ceux qui les utilisent. Les utilisent-ils pour percer une route dans une forêt dont les arbres sont destinés à être abattus ? Pour les mines, c'est pour faire sauter sous terre ou à la surface ? Vous êtes intelligent, vous devriez pouvoir analyser tout ça. »
J'étais en train de penser que j'avais de la chance d'être un écrivain.
Il a continué : « Un mot sur le vol. Les autorités s'affolent littéralement quand une grosse quantité d'explosifs disparaît. Il est possible, toutefois, de les subtiliser d'une façon moins manifeste. »
Je me suis souvenu que George Elser, un des gars qui a tenté de tuer Hitler, n'avait pas volé 60kg d'explosifs d'un coup, mais en petites quantités dans différents containers pour que ce ne soit pas remarqué.
Il a continué : « Ce sont des points tactiques qui doivent être soigneusement réfléchis. Souvenez-vous, aussi, que les gardiens des sites ne sont que des pauvres types qui n'ont pas pu ou voulu entrer dans la police."
Je me suis remis à penser à quel point j'avais de la chance d'être un écrivain.
Il a dit : « Ou alors je fabriquerais juste les explosifs à la maison. C'est incroyablement facile à faire. J'en ai fabriqué plein de fois. L'explosif le moins puissant et le plus facile à faire consiste à mélanger du fertilisant composé de nitrate d'ammonium et du gazole dans de la terre glaise. Si vous y ajoutez un peu d'aluminium ou un autre oxydant, cela augmente la puissance de 60%.
- Vous avez fait ça souvent ? Je ne crois pas avoir déjà rencontré quelqu'un qui a fabriqué des explosifs, à part mon camarade de lycée, un nerd qui a fabriqué une bombe pour la salle de classe.
- A chaque fois que j'entends une nouvelle recette avec du nitrate d'ammonium, je la tente, à petite échelle, mais assez grosse pour que je puisse vérifier si ça marche, c'est le seul moyen de savoir. »
J'ai déjà dit que j'étais heureux d'être un écrivain ?
J'ai posé une autre question : « Vous avez dit que vous pourriez dire juste en regardant le site où mettre les explosifs. Vous pourriez évaluer également la quantité d'explosifs nécessaire ?
- Oh oui, pour sûr, dit-il, de quelle taille était le barrage Embry ?
- Ils ont démoli une section de 100 pieds (30.49 m) qui faisait 22 pieds (6.70 m) de hauteur et de 18 pouces (moins de 1m) d'épaisseur.
- Calcule. 22 fois 100 font 2200 pieds carrés. Divise ça par 600 livres, et tu as environ 4 livres par pied carré, à 18 pouces d'épaisseur. Tu peux faire le même genre de calculs pour tout ce que tu veux. Ou tu peux faire un graphique. »




Endgames, Barrages, partie IV, pp.644-646.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas)





Ce n'est pas un jeu...






















Ce n'est pas un jeu. Les conséquences sont réelles. Ceux au pouvoir ne tolère aucun blasphème, aucune enfreinte aux 4 voire 5 premiers prémices de ce livre, aucune menace à leur monopole sur la violence, aucune menace à leur propriété (ce qui signifie aucune menace à leur contrôle), aucune menace à leur pouvoir, aucune menace à leur habilité à détruire le monde.
Un nombre croissant de gens ont commis ce blasphème dernièrement. Ils ont reconnu que cette civilisation est incorrigible. Ils en sont venus à savoir que la police ne nous protègera pas, ni la terre que nous aimons, des entreprises, au contraire elle pour but premier de faciliter la production, de faciliter la destruction de tout ce qui nous est cher. Ces gens en sont venus à savoir que si l'intégrité de nos propres corps et celle de la terre que nous aimons doivent être défendus alors nous sommes ceux qui devons la défendre. Et nous reconnaissons le fait que nous devons prendre l'offensive.
Des gens ont brûlé des stations de ski. Ils ont enflammé des poids lourds. Ils ont mis du sable et du sucre dans les réservoir des abatteuses. Ils ont brûlé des véhicules de sport , de particuliers, ou dans des concessions. Ils ont incendié des résidences vides et des maisons luxueuses construites sur des zones qui auraient dues être protégées. Ils ont déterré des semences génétiquement modifiées. Ils ont libéré des animaux de laboratoires ou d'élevages intensifs. Ils ont détruit des laboratoires de recherche qui torturaient les animaux, incendié ceux qui pratiquaient la vivisection.
C'est un début.
Peu de ces gens qui ont fait ça ont été attrapés. Parmi ceux qui ont été appréhendés, les arrestations n'ont jamais vraiment abouti à cause d'un brillant travail de détective auquel nous nous attendons en regardant la propagande télévisuelle: un film policier et une série télé comme Forensic Files. Les arrestations ont plutôt eu lieu à cause d'un manque d'attention, d'erreurs de la part des saboteurs. Un type qui a libéré des animaux et emprisonné récemment pour ça – et pas mal d'activistes avaient subi le même sort pour n'avoir pas témoigné contre lui – a d'abord été suspecté parce que quand il a envoyé un communiqué à une organisation connue pour faire du travail de presse pour ceux qui libèrent des animaux de laboratoire, il a mentionné un numéro de téléphone sur l'enveloppe FedEx. Bien sûr la lettre n'est jamais arrivée, mais lorsqu'elle fut retirée du tas de lettres perdues, elle a été lue et a révélé des indices qui auraient pu rester secret si l'expéditeur avait dépensé 10 dollars pour l'envoyer normalement. D'autres saboteurs ont brûlé des poids lourds d'entreprises forestières. Mais ils se sont faits avoir car l'un d'eux s'en est vanté à sa copine, qui était la fille d'un député. Un autre saboteur, qui avait écopé de 9 mois de prison pour incendie volontaire, s'est retrouvé à en faire 8 ans car il s'est fait attrapé en train de voler des pinces coupantes. Si je l'avais connu et qu'il me l'avait demandé, je lui aurais donné les sous pour qu'il se les achète, ces fichues pinces. Un activiste fut condamné à 8 ans pour avoir brûlé une concession des voitures de sport en Californie du Sud. Comment la police en est venue à le suspecter ? Peu après l'incendie, la police s'est servie du prétexte pour aller perquisitionner un activiste au hasard à son domicile. Après l'arrestation, le saboteur présumé a envoyé plusieurs e-mails au L.A.Times en insistant sur le fait que la police n'avait pas arrêté la bonne personne. Comme cela ne suffisait pas, il a envoyé les e-mails de la bibliothèque universitaire où il allait étudier, et il a donc été enregistré par la vidéo surveillance lorsqu'il y est entré avant de poster les e-mails. Il s'est également vanté de cet incendie à des amis et à sa petite copine, qui en ont dit encore plus devant la police.
Soyons clairs : il n'a pas été en prison parce qu'il avait incendié une concession de voitures de sport. Il y est allé parce qu'il s'est donné tout seul à la police.
C'est assez nul. Mais il a aussi donné les noms de ses présumés complices, à ses amis et à la police.
Très rarement dans mes écrits (ou dans ma vie) j'ai cherché à être prescriptif. Je crois fermement que les gens ont besoin de trouver et de suivre leur propre cœur. Quand les gens me demandent ce qu'ils devraient faire pour faire tomber la civilisation, je refuse toujours net de donner une réponse, je leur dis d'écouter leur propre terre et leur propre cœur, et les deux leur diront ce qu'ils doivent faire.
Mais ici je vais l'être. Ne soyez pas stupide. Ne soyez pas imprudent. Des vies, dont la vôtre, sont en jeu. Certains d'entre nous vont être tués. Certains d'entre nous vont être emprisonnés. Nous devons par nécessité prendre des risques. Mais nous devons aussi par nécessité faire en sorte que les risques en vaillent la peine si nous nous faisons attrapés. C'est une chose que de voler des pinces dans un magasin si vous allez faire juste quelques mois si vous êtes pris. C'en est une autre si vous êtes passible de plusieurs années.
Si vous roulez vers un barrage avec en tête de le faire tomber, ne vous pressez pas. Ne roulez pas avec un feu arrière cassé. Ayez votre carte grise à jour. N'en parlez pas à vos amis . N'en parlez pas à votre petite amie, la fille du préfet. N'en parlez à personne. N'en parlez à quiconque qui n'a pas besoin de le savoir. N'en parlez pas à quiconque qui n'est pas directement impliqué. N'en parlez qu'à ceux qui se tairont au risque de prendre de la prison pour quarante ans. N'en parlez qu'à ceux à qui vous donneriez votre vie, car c'est ce que vous allez faire.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. J'ai fait beaucoup de choses stupides dans ma vie, qui m'ont coûté beaucoup. (…) Je ne suis pas mieux que tous ceux que j'ai cités. En fait ils sont mieux que moi, parce qu'au moins ils ont fait quelque chose, ils ont pris l'offensive. Je veux juste que personne d'autre ne refassent les mêmes erreurs.
Nous sommes en guerre. La guerre a été déclarée contre le monde il y a des milliers d'années. La guerre a été déclaré contre les femmes. La guerre a été déclarée contre les enfants. La guerre a été déclarée contre la vie sauvage. La guerre a été déclarée contre les indigènes. La partie adverse – celle qui est en train de tuer la planète – a plus d'armes que nous. On n'est pas assez nombreux à vouloir riposter pour se permettre de perdre des alliés à cause de fautes d'inattention. (…)




Endgame, Barrages, partie IV, pp.641-644.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas)






Tir de barrage





















J'ai parlé avec quelqu'un qui s'y connait en explosifs. C'est un ami d'ami recommandé par la personne qui nous a présentés. Sil était vraiment question de passer à l'action, j'aurais bien sûr demandé plus de preuves avant de lui faire confiance. Mais tout ce que nous allions faire était de discuter – comme n'importe qui d'entre nous me semble-t-il – et c'était bien assez. On s'est donné rendez vous à un match de baseball.
(…)
Je l'ai remercié pour l'aide qu'il m'offrait à comprendre les explosifs, et lui ai demandé d'où il tirait ses connaissances.
Il dit : « Oh, ça me fait plaisir de vous aider de quelle que manière que possible. J'y ai pensé beaucoup et il y a deux raisons importantes pour lesquelles je veux faire ça. Première raison, on doit faire tomber la civilisation. Si on doit sauver quelque chose, on a besoin de donner tout ce qu'on peut pour cette lutte. Je ressens tellement de rage et de désespoir, même davantage à cause des choses que je pourrais faire avec mes compétences. Mais je suis aussi piégé, parce qu'agir mettrait ma famille en danger. J'aurais à les quitter, et je ne suis pas sûr qu'ils soient capables de gérer. Donc jour après jour je m'assois et la rage du désespoir brûle et brûle et je sens que ça chauffe dans ma tête. Mais je cherche à me conforter dans la certitude que bientôt, et le plus tôt sera le mieux, le temps viendra pour donner le coup qui fera chavirer tout ça et nous libèrera pour que nous puissions vivre encore comme nous l'attendons tous.
On va gagner, dis-je. »
Il acquiesça et continua : « La seconde raison pour laquelle je veux aider – et je sais que ça pourra paraître étrange – est que la façon dont j'ai appris tout ça m'a amené à faire des choses qui me consument encore l'esprit, donc je peux maintenant donner un bon emploi à mes compétences, peut-être je me sentirais moins mal avec ça.
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
- En 1981 j'ai joint l'Armée Nationale dans une unité d'artillerie qui était habilitée à faire des tirs d'armes nucléaires. Et bien que je n'avais rien à voir avec tout ça,  je devais avoir un habilitation sécuritaire pour être dans cette unité. Après mon diplôme en 1982, sans argent ni toit, je suis entré dans la Marine car ils étaient les seuls à pouvoir m'enrôler immédiatement. J'étais dans l'infanterie. Comme j'avais déjà une habilitation sécuritaire, ils m'ont collé dans une unité expérimentale. Nous avons passé les dix premiers mois à nous entraîner, et après tout ça nous devions être formés à 80% pour les forces spéciales. Mon premier entrainement sur les explosifs a été fait en trois semaines par l'Armée, à FB...
- Trois semaines, cela ne me semble pas très long.
- Oh, c'est suffisamment long. Pour vous donner un ordre de grandeur, c'est plus long que leurs cours sur le ciel et la plongée sous-marine.
- Que vous ont-ils appris d'autre ?
- Avec les airs, les fonds marins, il y avait la survie et la guerre dans la montagne, le désert, la banquise, la jungle et les milieux tempérés ; les descentes en rappel ; l'escalade ; les embuscades; les objets piégés ; les armes lourdes ; les tactiques de guérillas ; les collectes de renseignements ; les opérations de contre-espionnage ; les périmètres de sécurité interne et externe ( comment installer et défaire les systèmes animal, électronique, et mécanique de sécurité) ; les patrouilles couvrant de larges espaces ; la reconnaissance ; l'évasion et la fuite (dont comment démarrer une voiture sans les clefs, entrer quelque part par effraction etc) ; improviser la mise au point d'armes et de systèmes d'explosifs ; les premiers secours sur un champ de bataille ; et finalement les trucs sur les tactiques d'infanterie de base. Je dois dire qu'alors j'ai réellement des sentiments conflictuels à l'encontre des entrainements que j'ai reçu et que je suis profondément perturbé, voir même hanté par les choses que j'ai faites, je suis également heureux qu'on m'ait appris tout ça parce que ça va servir finalement à stopper cette folie dans laquelle nous vivons.
- Qu'avez-vous fait ?
- On a d'abord été envoyés en Afrique pour presque un an : l'Angola, le Congo, et ailleurs. Notre boulot était d'enseigner des tactiques de contre insurrection. On a ensuite été envoyé en Asie – Thaïlande et Cambodge – pour un an, on nous avons fait les mêmes choses. Partout où nous sommes allés était en guerre, et bien que techniquement nous n'étions que des conseillers, nous avions l'occasion d'appliquer ce que nous avions appris. Après j'ai arrêté et j'ai lu plusieurs livres sur des aspects plus techniques que nous n'avions pas abordé à l'Armée. »
Nous avons des compétences, je pensais, et peu importe où nous les avons apprises, nous avons besoin de les utiliser pour sauver la planète. Cet homme, clairement, avait des compétences capitales.
(…)
L'homme dit : « Entrons dans les détails. Les buildings ont des points dans leur structure qui subissent plus le stress de l'apesanteur et autres forces. Ce fait assez basique est tellement connu et compris par les gens qui élaborent les structures, qu'ils en tiennent compte et consolident les zones de stress. Les barrages en ont deux points à ce que je connais. Le premier est le point du croissant le plus éloigné, et l'autre se situe entre les portes d'écluse. Ces lieux ont été renforcés avec de l'acier ou une double épaisseur. Les constructeurs ne renforcent que ce qui est nécessaire et ces zones sont rattachées aux autres zones. C'est précisément cette zone de jonction que vous devez attaquer, à moins que vous ayez une quantité énorme d'explosifs, en quel cas vous visez direct les zones renforcées. Ce que vous devez vraiment savoir c'est quels matériaux ont servi pour la construction, et si les constructeurs en ont utilisé plusieurs types, vous devez supposé qu'ils aient choisi les matériaux les plus solides. Ça c'est la base : les experts en démolition, qu'ils soient de l'armée ou non utilisent tous cette analyse. »
Je n'arrivais pas à croire que nous parlions de ça dans un match de baseball. Les Expos étaient en train de battre les Marlins, par ailleurs.
Il dit : « pour résumer, si quelqu'un devait faire sauter un barrage, il lui faudrait : 1) des plans, où quelqu'un qui s'y connaisse suffisamment pour trouver les zones de stress, j'ai fait ça tant de fois que je peux probablement les situer à l’œil nu : le truc est de vous entrainer à regarder, et de regarder la chose comme un tout ; 2) la connaissance des matériaux utilisés ; 3) la connaissance spécifique du terrain sur lequel se trouve le barrage, les zones sismiques ou de passage d'ouragans vont entrainer des renforcements. Tout cela vous dirait : 4) la quantité et le type d'explosifs dont vous avez besoin pour accomplir votre but. L'étape suivante : 5) un plan, comment parvenir aux lieux, qui y va, et quand et par où et quel sorte de détonateur employer. Ne négligez pas ce point : si le barrage génère de l'électricité il peut interférer avec un programmateur électrique ou un retardateur.
– Avez-vous peur de parler de ça, ai-je demandé. » Ce n'est pas que cela m'effrayait. Pas du tout. Pas le moindre. Je jure. Et non, ma voix n'a pas tremblé. Bon, d'accord, peut-être un tout petit peu. Bon okay, voilà, j'étais sacrément effrayé. Mais aussi excité.
Il dit : « Cette information n'est pas illégale. Comme je l'ai dit, c'est l'unité Démolition 101, enseignées à des dizaines de milliers de personnes dans l'Armée au frais du contribuable. Si c'est illégal pour moi d'en parler, alors pourquoi ça ne l'est pas pour eux de me l'apprendre ?
– Parce que nous en parlons dans la perspective de l'utiliser pour les gens et la planète, par pour enrichir les riches. Parce que nous en parlons pas pour faire du mal aux pauvres du monde entier.
– Bon dieu, dit-il, vous avez raison. Dans ce cas c'est probablement illégal. »
Silence.
Finalement, il dit : « Chouette match, hein ?
– Ouais. » On en était à présent à 3 – 2.
Il dit : « Vous savez, ça vient juste de m'arriver : les militaires entrainent beaucoup de gens à la démolition, et beaucoup d'entre ces gens ont compris à quel point la civilisation est destructrice. »
Je l'ai regardé du coin de l’œil.
Il avait un regard rêveur. Il secoua la tête et dit : « Une fois que vous avez votre plan, et une fois que vous vous êtes assuré d'avoir pris en compte tous les paramètres d'accidents et de plantages, alors vous êtes prêt pour l'étape six, qui est que vous avez besoin de pratiquer en faisant non seulement votre part mais celle des autres encore et encore jusqu'à ce que vous et chaque membre de votre équipe soit capable de le faire les yeux fermés. Vous ne voulez pas foirer. Vous voulez le faire correctement.
– Merde, ai-je dit, j'ai peur.
– Bien sûr que vous avez peur, dit-il, c'est effrayant. »







Endgame, Les barrages, partie III, pp.633-637.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas)








Préface de DEEP GREEN RESISTANCE





















Extraits de la préface de Deep Green Resistance  par Derrick Jensen,  pp.11-17.


Ce livre veut parler de riposte. La culture dominante – la civilisation – est en train de tuer la planète, et cela fait depuis longtemps qu'il est temps, pour ceux que la vie préoccupe, de commencer à agir pour stopper la destruction de tous les êtres vivants par cette culture.
A présent nous connaissons tous les statistiques et grandes prévisions : 90% des grands mammifères marins ont disparu, il y a dix fois plus de plastique que de phytoplancton dans les océans, 97% des forêts primaires sont détruites, 98% des prairies primaires sont détruites, la population des amphibiens s'effondre, la population des poissons s'effondre, etc. 200 espèces sont amenées à s'éteindre chaque jour, tous les jours.
Cette culture détruit les terres. C'est ce qu'elle fait. Quand vous pensez à l'Irak, est-ce que la première chose qui vous vient à l'esprit sont les forêts de cèdres si épaisses, que le soleil n'atteignait jamais le sol? Une des premiers écrits mythologiques est le Gilgamesh, où le héros éponyme déforeste les collines et vallées d'Irak pour construire une grande cité. La péninsule arabique était une immense savane de chênes. Le moyen orient était couvert de forêts (nous avons tous entendu parler des cèdres libanais). La Grèce était couverte de forêts. L’Afrique du Nord était couverte de forêts. Répétons-le : cette culture détruits les terres.
Et on ne va pas l'arrêter en le demandant aimablement.
Nous ne vivons pas dans une démocratie. Et avant que vous gueuliez au blasphème, posez-vous la question : est-ce que les gouvernements servent les entreprises ou les êtres vivants ? Est-ce que les systèmes judiciaires rendent les PDG responsables de leurs actions destructrices et meurtrières ?
(…)
Est-ce que le système judiciaire est le même pour les riches que pour nous ? Est-ce que la vie sur terre a plus de poids qu'une entreprise, devant un tribunal ?
Nous connaissons tous les réponses à ces questions.
Et nous savons au plus profond de nous, si ce n'est clairement, que cette culture ne va pas d'elle-même s'infliger un changement pour aller vers un mode de vie sensé et soutenable. Nous – Aric, Lierre et Derrick – avons demandé à des milliers et des milliers de personnes de tous styles de vie, des activistes aux étudiants que nous rencontrions dans les bus et les avions si cette culture allait opérer ce changement d'elle-même. Presque personne n'a dit oui.
Si la vie sur la planète vous préoccupe, et si vous croyez que cette culture ne cessera pas d'elle même de détruire, comment cette opinion affecte vos méthodes de résistance ?
La plupart des gens ne savent pas, parce que la plupart des gens n'en parlent pas. Ce livre en parle : ce livre parle de ce glissement vers une stratégie, des tactiques.
Ce livre parle de riposter.
(…)
Et que veut-on dire quand on parle de riposter. Comme nous allons le voir dans ce livre, cela veut dire d'abord et avant tout de penser et ressentir par nous-mêmes, de trouver qui et quoi nous aimons, et trouver le meilleur moyen de sauver ce qu'on aime, en employant tous les moyens nécessaires. La stratégie de Deep Green Resistance (DGR) commence en reconnaissant l'horreur de la situation que la civilisation industrielle a engendré sur la vie sur la planète. Le but de DGR est de déposséder le riche de son habilité à voler le pauvre, et de déposséder celui qui est au pouvoir de détruire la planète. Cela veut aussi dire défendre et reconstruire des communautés humaines justes et soutenables vivant au sein d'une terre. C'est une énorme tâche, mais ça peut se faire. On peut stopper la civilisation industrielle.
Les gens nous – les auteurs de ce livre, Aric, Lierre et Derrick – approchent souvent, et nous disent que leur espoir et leur désespoir ont fusionné en eux. Ils ne veulent plus faire  TOUT ce qu'ils peuvent pour protéger les places qu'ils aiment, ce TOUT qui est tout sauf la chose la plus importante : faire tomber la culture. Ils veulent prendre l'offensive. Ils veulent la stopper net. Mais ils ne savent pas comment.
Ce livre parle de créer une culture de résistance. Et ça parle de créer une réelle résistance. Ça parle de créer les conditions pour que les saumons soient capables de retourner chez eux, pour que les oiseaux migrateurs soient capables de retourner chez eux, pour que les amphibiens soient capables de retourner chez eux.
Ce livre parle de riposter. Et ce livre parle de gagner.
Les actions directes contre les infrastructures stratégiques est une tactique de base à la fois pour les insurgés et les militaires du monde entier, pour la simple raison que ça marche. Mais de telles actions si elles sont isolées ne formeront jamais une stratégie suffisante pour obtenir un bon résultat. Cela veut signifier que toute stratégie qui a pour but un futur plus juste doit contenir cet appel à construire des démocraties directes basées sur les droits humains et les cultures matérielles soutenables. Les différentes branches de ce mouvement de résistance doivent travailler en tandem : les airs et les souterrains, les militants et les non-violents, les activistes et les travailleurs culturels. Nous avons besoin de tout.
Et nous avons besoin de courage. Le mot « courage » a la même racine que cœur, le mot français. Nous avons besoin de tout le courage dont le cœur humain est capable, forgé dans le fer de l'arme et du bouclier pour défendre ce qu'il reste de la planète. Et le sang vital du courage est, bien sûr, l'amour.
Alors c'est un livre qui parle de riposter et qui parle finalement d'amour. Les oiseaux et les saumons ont besoin de votre cœur, même s'il est faible, parce qu'un cœur brisé est encore fait d'amour. Ils en ont besoin car ils sont en train de disparaître, de glisser dans la plus longue nuit de l'extinction, et que la résistance est nulle part en vue.
Nous avons encore à construire cette résistance avec tout ce qui nous tombe sous la main : les soupirs et les prières, l'histoire et les rêves, nos propos et nos actions les plus braves. Ce sera dur, cela aura un coût, et lors de bien des matins cela semblera impossible. Mais on doit le faire de toute façon. Alors ramassez votre cœur et rejoignez tous les êtres vivants. Avec l'amour pour Cause première, comment pouvons-nous échouer ?





Préface de Deep Green Resistance,  pp.11-17.
Par Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas).




ABUSER























« La violence contre les femmes et la violence contre la Terre, légitimées et promues par la religion et la science patriarcales viennent d'une même agressivité qui prend racine dans l'érotisation de la domination. L'image de la femme-objet ou victime de cette culture génocidaire est à mettre en parallèle avec des représentations contemporaines qui montrent continuellement une Terre-objet ou jouet ou machine violentée, provenant de l'idéologie religieuse et scientifique qui légitime la possession, la contamination et la destruction de la Terre Mère. »

Jane Caputi,  
Gossips, Gorgons & Crones : the fates of the earth,  
Santa Fe, NM:Bear&Compagny, 1993, p.53.



LES ABUSEURS ndlt


 NOUS AVONS ÉTÉ DÉMENTIELLEMENT TROP GENTILS AVEC CEUX QUI SONT EN TRAIN DE TUER LA PLANÈTE. Nous avons été inexcusablement, impardonnablement, insensément trop gentils.
 Je comprends à présent. Pendant des années je me suis demandé si les abuseurs/gens violents croyaient en leurs mensonges, et finalement j'ai trouvé une réponse qui me convenait.
(…)
 Lundy Bancroft m'a aidé à prendre conscience de certaines choses très importantes. Il s'est spécialisé dans les abuseurs/violents, notamment ceux qui perpétraient la violence domestique, mais ce qu'il a écrit s'applique aussi bien à la culture entière de l'abus/violence, qu'aux abus de ceux qui les commettent à plus grande échelle et sur lesquels j'écris.
Sa thèse centrale semble être que le problème premier n'est pas que les abuseurs « perdent tout contrôle » ou soient particulièrement enclins à « entrer dans une colère noire », mais plutôt qu'ils considèrent dans leur bon droit d'exploiter, feront tout pour exploiter, et exploiteront tant qu'ils le pourront.
(…)
 Les abuseurs ne se retrouvent pas hors de contrôle. Ils se contrôlent au contraire très bien. Je ne l'avais pas compris avant d'avoir lu ce livre de Bancroft.
De façon similaire, je parle de la pulsion de destruction de cette culture, et de comment ceux qui sont au pouvoir détruisent les choses qu'ils ne peuvent pas contrôler. J'ai écrit sur la déforestation, sur les océans dévastés, sur le massacre des pauvres et l'extinction des espèces. Mais les entreprises et ceux qui les font marcher ne vont pas écraser pêle-mêle tout ce qui se trouve autour d'eux. Comme Michael ndlt2, ils ne vont pas bien sûr détruire ce qui leur appartient. Et bien sûr ils ne vont pas nettoyer ce qu'ils ont dévasté, et peu importe le remord qu'ils vont feindre d'éprouver, et peu importe tout ce qu'ils vont déclarer avoir réalisé avec le pétrole et la reforestation, et tout le reste qu'ils vont déblatérer.
(…)
 (Bancroft) veut en venir au fait que quand les abuseurs commettent leurs atrocités, ils restent parfaitement conscients des questions suivantes : « Suis-je en train de faire quelque chose que les autres pourraient découvrir et me faire mal considérer ?68  Suis-je en train de faire quelque chose qui pourrait me mettre en défaut vis-à-vis de la loi ?  Cela pourrait-il me causer des problèmes ?  Suis-je en train de faire quelque chose que je considère moi-même comme étant cruel, choquant ou violent ?69 »
Ces questions sont posées mot pour mot dans les salles de réunion des entreprises. J'ai discuté longuement il y a quelques années avec une ancienne avocate d'entreprise qui après une prise de conscience a quitté son travail pour se retourner contre les entreprises. « Les gens qui font tourner ces entreprises, a-t-elle dit, savent exactement ce qu'ils font. Ils savent qu'ils sont en train de tuer des gens. Ils savent qu'ils sont en train de détruire les rivières. Ils savent qu'ils mentent. Et ils savent qu'ils font beaucoup d'argent avec tout ça. »
Bancroft continue : « Une intuition décisive s'est glissée dans mon esprit quand j'ai travaillé avec mes 12 premiers clients. Un abuseur ne fait presque jamais rien qu'il considèrerait lui-même comme moralement inacceptable. Il peut cacher ses actions parce qu'il pense que les autres ne seraient pas d'accord avec ça, mais lui se les justifie en son for intérieur. Je ne peux mentionner un client qui m'aurait déjà dit : « Ce que j'ai fait ne peut pas être défendable de quelle que manière que ce soit. J'étais totalement dans le faux. » Il a invariablement une raison qu'il considère valable. En bref, le problème chez un abuseur, c'est qu'il a une vision pervertie de ce qui est bien ou mal.70 »
 C'est vrai à une échelle sociale plus large. Il est clair qu'une culture qui tue la planète a une vision pervertie de ce qui est correct et de ce qui est bien ou mal. Il est clair qu'un département de police qui arrête des gens qui s'accrochent aux arbres pour empêcher qu'on les coupe mais pas ceux qui déforestent ni ceux qui violent, a une vision pervertie de ce qui est correct et de ce qui est bien ou mal.
(…)
 Encore une fois, les connexions à une échelle culturelle plus large devraient être évidentes. Cela reprend d'une certaine manière le prémisse quatre, mais c'est suffisamment différent et suffisamment essentiel pour être l'objet du prémisse dix-neuf : le problème de la culture réside par dessus tout dans la croyance que contrôler et abuser du monde naturel est justifiable.
Tout cela ramène à ce bon droit perçu comme tel. Comme Bancroft l'affirme, « Le bon droit est la croyance que l'abuseur a en le fait qu'il a un statut très spécial qui lui fournit des droits exclusifs et des privilèges qui ne s'appliquent pas à son partenaire. Les attitudes qui dirigent les abus peuvent largement être résumées par cette seule expression. »72
Cette attitude peut s'appliquer à une échelle sociale plus large. Bien sûr les humains sont une espèce exceptionnelle, à qui un Dieu sage et omnipotent a accordé l'exclusivité des droits et des privilèges de la domination de la planète, laquelle est là pour que nous l'utilisions. Et bien sûr même pour ceux qui s' adonnent à la religion de la Science plutôt qu'au Christianisme, on dira que l'intelligence et les habilités exceptionnellement exceptionnelles de l'être humain nous a accordé l'exclusivité des droits et des privilèges de la domination de la planète, laquelle est là pour que nous l'utilisions. Et bien sûr parmi les humains, les civilisés sont encore plus exceptionnels, parce que nous sommes à un tel stade de développement social et culturel, avec un droit et un privilège exceptionnels d'utiliser le monde comme bon nous semble. Et bien sûr parmi les civilisés humains, ceux qui font le spectacle sont encore plus exceptionnels, etc.
Cette croyance flatteuse de croire en son bon droit d'exploiter ceux qui nous entourent est une raison majeure pour laquelle les abuseurs stoppent rarement leurs abus.(...)
Comme Bancroft l'a écrit : « Au fil du temps, l'homme grandit attaché au confortable cocon de ses privilèges. »75(…)
Qu'est-ce qu'ils tentent de tirer, ceux qui sont au pouvoir, de ce qu'ils ont fait ? Quel en est leur ultime bénéfice ?(…)
Beaucoup d'Indiens ont déjà posé ces questions à propos des civilisés. J'ai souvent posé ces mêmes questions à propos des PDG, des journalistes d'entreprise, des politiciens. Comment font ces gens pour dormir la nuit ?
À poings fermés, dans des lits confortables, dans des maisons de 2500 m2, derrière des portails, avec un système de sécurité privé, merci beaucoup.
Ce sont d'autres gens que leurs activités empêchent de dormir.



Endgame, Abusers, pp.562-663.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas)





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Ndlt: traduction de abusers : en français le terme abuseur, peu usité, désigne celui qui trompe, alors qu'en anglais il désigne surtout celui qui agresse, qui maltraite. Or dans ce chapitre de Endgame, Jensen veut clairement démontrer qu'une personne violente sait très bien ce qu'elle fait, tout comme les dirigeants de ce monde qu'ils massacrent.

Ndlt2:c'est le prénom d'un des maris violents dont Brancroft a interviewé la femme. Cette dernière s'est effectivement rendue compte qu'il ne brisait que ses affaires à elle.

68 J'ai connu beaucoup de femmes dont les maris ne les battaient que au corps, jamais au visage, parce que ça se verrait.
69 Bancroft, Lundy, Why does he do that ? Inside the minds of angry and controlling men, New York : Monthly Review, 1957, p.34.
70 Ib. Italique original.
72 Ib. p.54.
75 Ib. p.152