La vérité, c'est comment vous faire sauter dans des cerceaux






















N'avez-vous pas déjà fait un rêve dans lequel vous êtes en train de vous battre contre quelqu'un de mauvais, mais rien de ce que vous faites en vient à bout ? Cette personne mauvaise ne cesse de revenir et revenir et vous essayez de faire tout ce que vous pouvez pour le (ou les) stopper, mais rien ne marche. Vous essayez d'appeler à l'aide, mais personne ne vient, personne sauf celle (ou celles) qui est(sont) mauvaise(s), et alors vous appelez encore, et encore personne ne vient, personne excepté celle qui est mauvaise, et vous savez qu'elle va vous violer, qu'elle va vous tuer, et violera et tuera tous ceux que vous aimez, tous ceux qui vous sont chers, tous ceux que vous connaissez, tout le monde.
(…)
Si les indigènes avaient (ou ont) accès à ces autres côtés, et à ceux de ces autres côtés qui pourraient s'allier, pourquoi la culture dominante a pu systématiquement les déposséder et les détruire ?  (Pourquoi limiter aux humains la possibilité d'appeler à l'aide ? Pourquoi ces alliés potentiels n'ont-ils pas aidé les pigeons voyageurs, les courlis esquimaux, les loups des Iles Falkland ? Pourquoi tous ces humains et non humains sauvages n'ont pas pu appeler ces alliés invisibles, comme Tecumseh et bien d'autres l'ont si désespérément désiré, pour renvoyer les civilisés là d'où ils venaient?) Et une question en rapport : si la terre est vraiment intelligente – ce en quoi je crois pleinement – pourquoi ne nous a-t-elle pas tués ?
Peut-être que la réponse est que les scientifiques – et plus largement, les membres de cette culture – ont raison, et globalement que les autres cultures ayant existé ont tort. Il n'y a pas de plan. Tout est hasard. L'existence sur terre se fait au hasard. La sélection naturelle consiste en des mutations génétiques aléatoires qui prennent ou pas. Comme Richard Dawkins, l'extraordinairement populaire et influent scientifique philosophe – il est plus recherché sur Google que Mick Jagger pour avoir ouvert grand sa gueule, même si ce n'est qu'un scientifique philosophe flippant – l'a dit, nous existons dans « un univers d'électrons et de gênes égoïstes, un univers de forces physiques aveugles et de duplications génétiques. » Les humains sont les seules intelligences ayant du sens sur cette terre et probablement dans l'univers. Le monde consiste en des objets qu'il est possible d'exploiter, et non en d'autres êtres avec lesquels entrer en relation. Il n'y a pas de magie. Il n'y a pas de signification inhérente au monde ; la seule chose signifiante est ce que nous projetons. Dawkins dit encore, « Vous ne trouverez ni rythme, ni raison dans (l'univers), ni justice. L'univers que nous observons a précisément les propriétés que nous devrions trouver s'il y a, au fond, ni agencement, ni but, ni mal, ni bien, rien qu'une indifférence aveugle et sans pitié. » Les seuls mystères sont ceux que nous n'avons pas encore percés. Parce que les non humains n'ont pas d'intelligence signifiante, ils n'ont rien à dire ni à apprendre à nous ou aux autres. Ainsi la communication entre les espèces ne fait pas sens, peu importe qui sont les non humains : animaux, plantes, rivières, roches, étoiles, muses, alliés venant de l'autre côté etc. Tous ceux qui pensent autrement sont superstitieux, autrement dit délirants, peut-être primitifs, peut-être fous, peut-être immatures, peut-être juste complément stupides. Si cette culture a raison et que les autres cultures ont tort, alors il n'y a pas de muse, pas de destin. Il n'y a pas de message provenant des étoiles. L'astrologie c'est des conneries. La prière c'est des conneries. Les lucky socks de Noël c'est des conneries. Les prémonitions c'est des conneries, et l'intuition est juste le fruit d'une attention inconsciemment très proche d'une chose, ou c'est des conneries. Rien de plus. Le paradis c'est des conneries. L'enfer c'est des conneries (ou alors c'est juste d'être forcé à lire Dawkins). Toutes les conceptions autour de la réincarnation ou la vie après la mort c'est des conneries. La spiritualité c'est des conneries. Les rêves sont purement psychologiques. L'amour n'est rien de plus qu'une série de réactions chimiques dans le cerveau. C'est la même chose pour le respect. C'est la même chose pour la solitude (appeler solitude une réponse purement chimique tire certainement cette culture aliénante d'affaire et nous fait juste nous sentir encore plus mal : d'abord vous nous dites que personne d'autre n'existe et qu'aucune signification existe, et quand nous nous sentons un peu seuls vous nous dites que c'est juste de la chimie dans notre cerveau. Peut-être maintenant vous allez nous sortir le mot soma, ce qui nous fera penser que nous ne sommes pas si seuls, ce qui dans cette perspective veut dire que nous ne serons pas tranquilles si seuls). C'est la même chose, c'est assez embarrassant, pour la pensée. Pour aller plus loin, si cette perspective scientifique matérialiste instrumentaliste a raison, et toutes les autres cultures ont tort, alors l'univers est une gigantesque horloge – une machine ; une machine très prévisible et donc contrôlable – et Dieu ( dans la mesure où nous pouvons employer Dieu comme une métaphore, depuis que ni Dieu ni les dieux n'existent) n'est rien qu'un horloger aveugle, ou pour être plus fidèle à cette perspective, Dieu est Lui-même une horloge géante.
Le pouvoir dans ce cas, alors, est l'équivalent de la signification ; il n'y a pas de pouvoir inhérent dans le monde (ou hors de lui) – tout comme il n'y a pas de pouvoir inhérent dans un grille-pain ou une voiture si vous ne l'utilisez pas – et le seul pouvoir qui existe est celui que vous projetez dans ou sur d'autres (ou alors celui que d'autres projettent sur ou dans vous). Le pouvoir existe seulement dans la façon dont vous utilisez du matériau brut.
Et la science est un puissant outil pour ça. C'est le point essentiel de la science. Dawkins – et souvenez-vous qu'il est un scientifique philosophe contemporain éminent, qui a plus de recherches google que ce putain de Mick Jagger – écrit que « la science appuie sa prétention à la vérité par sa spectaculaire habilité à faire sauter la matière et l'énergie dans des cerceaux sur commande, et à prédire ce qui se passera et quand. » Si vous utilisez des matériaux bruts plus efficacement qu'un autre, et bien alors il y aura plus de pouvoir pour vous. Ce qui signifie bien sûr, que cette efficacité crée des droits – ou en fait, le droit lui aussi n'est ni signifiant ni inhérent. Si les non humains ne sont pas, dans quel que sens que ce soit, des êtres et sont ici pour que nous les utilisions (et non pas ici pour eux-mêmes, avec des vies qui sont pour eux aussi signifiantes que votre vie pour vous et la mienne pour moi), alors les utiliser ou les détruire ne soulève aucune question morale significative. Le droit est ce que vous décidez qu'il soit, ou, plus exactement, ce n'est pas pertinent (excepté dans la mesure où vous pouvez utiliser le concept de droit comme un opiacé qui vous permet de vivre avec vous-même et/ou éviter que ceux que vous exploitez vous tuent). Le droit est ce que vous voulez qu'il soit, ce qui signifie que c'est vraiment rien du tout. Cette notion malléable de droit signifie que vous pouvez très bien et très facilement vous dire que vous sentez bien le fait d'exploiter tout le monde. Si tout cela semble pathologique c'est parce que ça l'est.
(…)
Si cette perspective scientifique matérialiste instrumentaliste est correcte, si le monde (et l'univers) est ici pour que vous l'utilisiez et le fait de vouloir entrer dans une relation pleine de sens avec les non humains et/ou l'invisible est insensé, impossible, « anthropomorphique » et fait perdre du temps et de l'énergie, alors vous aurez certainement un avantage immense et compétitif sur tous ces peuples superstitieux, immatures, primitifs et insensés qui (…) sont en train de gâcher leur temps à « communiquer » et à « communier » avec des animaux idiots qu'ils croient être des esprits et provenant des « autres côtés ». Pendant que les guérisseurs et sorciers baragouinent avec les « esprits », et pendant que les chefs de guerre mettent les tenues qu'ils croient stupidement qu'elles les protègeront des balles, vous rassemblez vos armées impérissables, vous préparez vos fusils encore plus innombrables, garnissez vos tout autant innombrables canons de mitrailles et de bombes. Sur qui auriez-vous misé votre argent (et ce qui reste – et n'oubliez pas la croissance! – de votre culture) : des armées et des armées de soldats équipés avec les technologies aussi modernes que meurtrières ; ou un groupe d'Indiens américains sous équipés très braves mais pathétiques, qui peuvent, pertes après pertes, commencer à perdre leur foi en les esprits qui jusqu'ici étaient censés les guider. Vus les deux choix, donnez-moi les gros fusils. Des balles dans la tête ont d'une certaine manière toujours semblé avoir le dessus sur la sophistication spirituelle. Peut-être que c'est parce que si cette perspective scientifique matérialiste instrumentaliste a raison, la sophistication spirituelle est juste une façon fantaisiste de parler d'illusion ou de primitivisme. Peut-être, si la culture dominante a raison, les Amérindiens appelaient à l'aide ce qui simplement n'existe pas.
Si cette perspective scientifique matérialiste instrumentaliste a raison, alors la terre n'a pas riposté, ne ripostera pas, simplement parce que la terre n'a pas de volonté propre et par conséquent ne peut choisir de faire quoi que ce soit. La terre (et par extension tous ses habitants exceptés les humains, par là nous voulons en fait dire les humains civilisés, par là nous voulons en fait dire les humains riches, blancs et de sexe masculin) est un objet. Tous les « êtres » sont ici pour être utilisés, si nous nous apprêtons à demander pourquoi la terre ne nous a pas tués, autant demander pourquoi une boîte à outils ne nous a pas tués quand nous avons sorti les outils pour les utiliser, ou pourquoi un tas de bois ne nous a pas tués quand nous avons pris le bois pour le brûler ou pourquoi un réfrigérateur ne nous a pas tués quand nous l'avons ouvert pour sortir de la nourriture. C'est une question stupide. C'est sûr, on aura quelque problème quand le réfrigérateur sera vide, mais nous sommes aussi sûrement assez malins pour juste trouver un autre réfrigérateur. Comme l'autocollant dit (inévitablement sur l'énorme pickup couvert de boue conduit par un trou du cul bien suffisant) : « La Terre d'abord. On abattra les autres planètes après. » Si cette perspective scientifique matérialiste instrumentaliste a raison, et que tous les non humains de la planète (et la planète elle-même) sont juste des objets à utiliser, cela signifie que nous, juste comme les indigènes, ne serons jamais capables d'appeler à l'aide, que ce soit les ours bruns du Kamchatka, les virus mortels, les océans, les champignons, les forêts, les muses, les destinées, les démons, les anges, les esprits ou les ancêtres. Rien de tout cela existe. Nous pouvons demander, mais personne ne nous entendra, et certainement personne ne répondra. Nous sommes, comme cette culture nous le raconte de tant de façons multiples et variées, tous seuls.
Si nous sommes tous seuls, et que la planète compte pour nous, nos actions deviennent claires : nous devons faire le nécessaire pour faire tomber définitivement cette civilisation avant qu'elle tue encore plus cette planète. Parce que si cette perspective scientifique matérialiste instrumentaliste est vraie, cette culture va poursuivre son petit train-train quotidien et sa nécessaire propension à détruire jusqu'à l'effondrement ou son arrêt. Les seules réponses réelles que les civilisés donnent à cette propension à détruire sont toujours les mêmes : il s'agit essentiellement d'appeler tout le monde à compter sur la générosité, la miséricorde et les compétences des civilisés (et de tuer ou punir sévèrement ceux qui ne tiennent pas compte de cet appel). Le nom moderne pour cette générosité, cette miséricorde et ces compétences concernant le monde naturel (et les humains les plus ouvertement exploités) est le « développement durable ». Mais bien sûr le « développement durable » échouera pour bien des raisons à aider matériellement le monde naturel (et les humains les plus ouvertement exploités). C'est un oxymore, puisque « développement » est un euphémisme pour industrialisation, qui est par définition n'est pas durable ; en fait industrialisation est complètement, irrévocablement, et fonctionnellement antithétique à la durabilité. ndlt Cet oxymore aussi absurde qu'évident reste dans l'usage commun pour trois raisons : (1) promouvoir ce genre de mensonge sert bien ceux qui sont au pouvoir ; (2) beaucoup de gens sont trop occupés, émotionnellement épuisés et vaincus, trop effrayés, trop ancrés et métabolisés dans le système, incapables de penser par eux-mêmes, trop bien récompensés financièrement par le système, trop malhonnêtes, trop avides, trop insensés, trop sur la défensive sur tout ce qui touche à cette culture, et/ou trop stupides pour voir cette expression pour ce qu'elle est manifestement (et bien sûr différentes personnes peuvent avoir de multiples raisons pour leur inaptitude à percevoir l'absurdité de l'expression « développement durable » ; Georges W.Bush, par exemple, tomberait dans au moins dix des catégories ci-dessus ; et le Président Barrack Obama tomberait dans au moins 9 de ces catégories) ; et (3) le « développement durable » n'est de plus, ou de moins, que la version contemporaine du « Fardeau de l'homme Blanc ».
Ce poème de Kipling datant du XIXème siècle tente de montrer juste à quel point c'est super difficile d'être une homme blanc dans un monde où vous avez constamment – et avec une grande réticence et de profonds soupirs – à civiliser des sauvages arriérés. C'est une profonde obligation que portent les hommes blancs. Comment ces sauvages ont-ils fait pour en quelque sorte survivre par eux-mêmes – paresseux et gaspilleurs qu'ils sont – pendant des dizaines de milliers d'années ? Ce qui reste non dit dans le poème de Kipling – comme c'est souvent non dit dans les discours publics sur ces sujets – c'est toute discussion inconvenante qui concernerait le génocide, l'écocide, l'esclavage, ou le vol organisé des ressources. Ce qui reste non dit c'est que le point essentiel de l'empire est dans la conquête, la soumission, l'esclavage, le vol, le meurtre. Bien sûr.
Et après cent ans passés, c'est encore super difficile d'être un homme blanc dans un monde où vous avez maintenant constamment – et avec une grande réticence et de profonds soupirs – à civiliser (je veux dire développer) des sauvages arriérés (je veux dire les pays sous développés). Seulement maintenant le fardeau est encore plus lourd, depuis que ces hommes blancs doivent maintenant régir toute la planète entière, gérer « durablement » les forêts et les océans (comment ont fait ces forêts et ces rivières pour survivre pendant des millions d'années sans gestion scientifique?), être de « bons gestionnaires » de la terre de l'air et de l'eau qui ne peuvent évidemment pas se porter mieux sans notre assistance, tout comme les sauvages il y a une centaine d'années qui avaient besoin de notre aide pour survivre. Maintenant ce qui reste non dit dans tous ces discours autour du « développement durable » – tout comme cela reste non dit dans les discours publics portant sur ce sujet – c'est toute discussion inconvenante portant sur le génocide, l'écocide, l'esclavage, ou le vol organisé des ressources. Ce qui reste non dit, c'est que le point essentiel de l'empire – de la civilisation industrielle est dans la conquête, la soumission, l'esclavage, le vol, le meurtre. Bien sûr.
Si ce point de vue scientifique matérialiste instrumentaliste sur le monde a raison, et que nous sommes vraiment tous seuls dans un univers dépourvu d'intelligences ou d'êtres non humains, mais si pour une étrange raison nous nous préoccupons de la continuité de la vie sur cette planète (si peut-être nous ne sommes pas encore définitivement narcissiques et psychopathes), nous en sommes encore là où nous avons commencé. Nous avons besoin ou de lutter par nous-mêmes, ou de trouver des alliés qui lutteraient à nos côtés. Mais si ces alliés ne sont pas ici, nous ferions mieux de retrousser nos manches et d'aller lutter.
(…)
Retournons à la phrase écrite par Richard Dawkins : « la science appuie sa prétention à la vérité par sa spectaculaire habilité à faire sauter la matière et l'énergie dans des cerceaux sur commande, et à prédire ce qui se passera et quand. » Est-ce que quelqu'un a capté le fil logique ici ? Disons que j'ai un revolver. Mettons que je pointe cette arme sur votre tête. Mettons que je vous commande de sauter dans des cerceaux. Mettons que vous le faites. J'ai, après tout, vraiment un revolver pointé sur votre tête. A présent, avec ce revolver pointé sur votre tête, je vous dis de sauter dans des cerceaux encore une fois. Et ensuite je prédis que c'est précisément ce que vous allez faire. Vous le faites. Et vous savez quoi, je suis un putain de génie ; je vous ai commandé de sauter dans des cerveaux, et j'ai correctement prédit que vous le feriez.
Richard Dawkins était avec cette phrase incroyablement malhonnête intellectuellement – et vicieux – et la seule raison pour laquelle on ne le lui pas fait remarquer, c'est parce qu'il a toute une culture de sociopathes qui l'accompagne. Il a combiné exercer le pouvoir et commander avec la vérité. Il a, et cela ne serait pas une surprise pour quiconque s'intéressant à la trajectoire de cette culture, combiné domination et vérité. Mais ni le pouvoir de commander ni la domination sont synonymes de vérité. Le pouvoir de commander est le pouvoir de commander, la domination est la domination et la vérité est la vérité.
Richard Dawkins pourrait mettre un revolver sur ma tempe. Il pourrait même me tuer. Mais cela ne signifierait pas qu'il dit la vérité. Cette culture domine la planète. La domination de la planète par cette culture est en train de la tuer. Cela ne signifie pas que cette culture dit la vérité, ou est même capable de la comprendre.
Le pouvoir de dominer est une sorte de vérité, cependant. Si j'ai un revolver sur votre tempe c'est simplement vrai que je peux vous tuer, ou qu'à cause de cette menace je peux vous faire sauter dans des cerceaux sur commande. C'est vrai. Mais il y a aussi bien d'autres vérités, qui peuvent être masquées, obscurcies ou détruites par cette vérité. Un exemple devrait vous éclairer. Disons que je pointe un revolver sur votre tempe. Mettons que je vous force à sauter dans des cerceaux. Mettons que je vous viole. Mettons que je fais de vous un(e) esclave. N'y a-t-il pas d'autres vérités qui ont été évincées parce que j'ai mis un revolver sur votre tempe, parce que je vous ai forcé à sauter dans des cerceaux, parce que je vous ai violé, parce que j'ai fait de vous un(e) esclave ? Chaque voie en exclut d'autres. Certaines voies en excluent plus que d'autres. La même chose est vraie avec les vérités ; certaines voies vers certaines formes de savoirs, et certaines voies vers certaines formes de vérités, excluent irrévocablement d'autres voies vers d'autres formes de savoir, et d'autres voies vers d'autres vérités.
Ce n'est pas seulement une vérité. C'est une vérité que nous devrions prendre à cœur, et une vérité que nous devrions ne jamais oublier.





Dreams, "L'Esclavage", pp.19-30.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas).



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ndlt: le problème autour de cette expression se complique en français à cause de la traduction de « sustainable » par « durable » , alors qu'à l'origine il s'agissait bien de traduire par « soutenable ». Mais le canadien et ex patron d'une grande transnationale pétrolière, Maurice Strong, reconverti dans l'écologie, a préféré « durable » et contribué à son officialisation. Nous renvoyons à Qui a tué l'écologie? de Fabrice Nicolino et à son site : http://fabrice-nicolino.com/index.php.
C'est également évoqué dans un commentaire du premier post consacré aux prémisses de Endgame.

Les autres côtés






















Je pensais à une phrase d'un poème aztèque que j'ai lue il y a des dizaines d'années : « Que nous soyons venus sur cette terre pour y vivre n'est pas vrai: Nous sommes venus, mais pour dormir, rêver. » J'ai longtemps aimé cette phrase, bien que je ne sache pas si je la comprends totalement. Mais peut-être est-ce là la question. (…)
"Les Rêves", p.2

Saviez-vous que si vous empêchez une personne à la fois de s'alimenter et de rêver, cette personne mourra du manque de rêves avant de mourir de faim ? Les rêves viennent en troisième position dans les besoins vitaux, après l'air et l'eau. Les adeptes de la vivisection ont, dans leur insatiable quête pour de nouvelles tortures sur les non humains, tué des rats en les privant de rêves. Pas de sommeil, de rêves. Privés seulement des phases de sommeil sans rêves (avec encore les REM ou des phases de rêves dans le sommeil), les rats survivent, quoique misérablement. Privés de rêves, ils meurent dans les 3 à 8 semaines. Les nazis étaient moins nuancés dans leurs expérimentations : ils ont directement privé totalement de sommeil des prisonniers des camps de concentration, et ont remporté 264 heures. Après cela vous mourez.
Et bien avant les 264 heures les rêves – images, histoires, nouvelles, rumeurs, leçons, les gens de l'autre côté – s'infiltrent dans le nôtre. On ne peut pas les nier. A la fin des années 50 un animateur radio, Peter Tripp, a décidé, pour créer un événement, de rester éveillé pendant 8 jours et tenir son émission radio journalière. Il commença, comme font toutes les personnes privées de sommeil, à halluciner. Après 110 heures, ses hallucinations se radicalisaient et devenaient incontrôlables. D'après un rapport,  "Un docteur est entré dans la cabine d'enregistrement avec un costume en tweed sur lequel Tripp voyait des vers grouillant. (…) Dans le but de s'expliquer à lui-même ces hallucinations, qui lui lui apparaissaient comme plutôt réelles, il élaborait des rationalisations similaires aux illusions des patients psychotiques." Le rapport se poursuit, "Vers 150 il était désorienté, ne se rendant plus compte du lieu où il était, et se demandant qui il était. Il s'est mis à jeter des coups d’œil bizarres à l'horloge suspendue au mur de la cabine d'enregistrement. Les docteurs ont découvert après coup que sur l'horloge se trouvaient les traits du visage d'un acteur qu'il avait connu et qui s'était déguisé en Dracula pour un show télévisuel. Il commençait à se demander si il était Peter Tripp ou l'acteur dont il regardait le visage répliqué sur l'horloge... Bien qu'il ait réussi à rester éveillé continuellement, les impulsions de son cerveau étaient celles du sommeil profond. »


Voici une autre façon dont les adeptes de la vivisection torturent les rats en les privant de sommeil : ils les placent pendant 27 jours dans une roue remplie d'eau qui les maintient en mouvement constant. Les électroencéphalogrammes révèlent que les rats dormiraient quelques secondes toutes les dix ou quinze secondes, se réveillant alors juste avant de sombrer dans l'eau.

Les humains sont capables de rester conscients durant leur sommeil, ou du moins l'étaient, jusqu'à ce que ceux qui possédaient cette capacité soient exterminés par cette culture. Les Yagans, originaires de ce qui s'appelle Tierra del Fuego en Argentine, étaient capables de rester conscients dans leur sommeil. Comme un contemporain l'a écrit, les Yagans « montrent tous une habilité à s'endormir sans effort, restant aux aguets pendant leur sommeil, sans se laisser distraire. Ils dorment légèrement, s'éveillent rapidement et facilement, alertes et frais. Et même durant le sommeil chaque membre de la tribu semble savoir ce qui se passe et à l'état d'éveil montre une compréhension de ce qui est arrivé pendant qu'il dormait. Bizarrement, ces gens ne semblent pas être las ou fatigués par ces réveils répétés, parce qu'ils s'endorment aussi facilement qu'ils s'éveillent. Chaque membre de cette tribu semble être capable de s'allonger et de dormir, peu importe le moment de la journée, et peu importe tout ce qui bouge autour de lui." Je me demande parfois si nous ne vivons pas durant nos heures éveillées pour nourrir nos rêves.

Je n'arrête pas de me demander dans quel but on rêve. Pourquoi je rêve ? Et les rêves n'arrêtent pas de me donner la même réponse : mes questions sont trop limitées.
Et puis la nuit dernière j'ai eu ces rêves : des gens lançaient des flèches enflammées à ceux qui étaient en train de détruire des lieux sauvages. Et puis j'ai rêvé d'oies, en groupe. Et puis j'ai rêvé que je faisais l'amour avec une femme très belle. Ne me demandez pas ce que ces rêves signifient. Je ne sais pas. Et dans tous les cas la question est trop limitée.

Une partie de la raison pour laquelle on nous dit que les autres intelligences, et les conversations avec d'autres intelligences, ne peuvent pas exister est que c'est parce que les événements ne se répètent pas volontairement (autrement dit ils ne se répètent pas parce que les actants dans ces événements ont une volonté, contrairement aux événements qui ne se répètent pas parce qu'ils arrivent au hasard), et par conséquent ils ne sont pas prévisibles, et donc pas contrôlables. Cette culture est basée sur l'affirmation que le monde (exceptés les humains, parfois) n'a pas de volonté, qu'il est mécanique, et donc prévisible (le plus souvent dans l'absolu, à cause de son absence de volonté, ou alors dans la probabilité, à cause du hasard). Par conséquent, l'existence de cette volonté imprévisible détruit une affirmation fondatrice de cette culture. L'existence de cette volonté imprévisible invalide aussi l'ontologie, l'épistémologie et la philosophie de cette culture et révèle ces disciplines pour ce qu'elles sont : des mensonges sur lesquels baser ce système omnicide d'exploitation, de vol, et de meurtre. C'est plus facile d'exploiter, de voler ou de tuer quelqu'un dont vous prétendez l'existence insignifiante (spécialement si vous avez toute l'ontologie, l'épistémologie, la philosophie de toute une culture entière pour vous soutenir) ; bien sûr cela devient votre droit, votre devoir. L'existence d'une volonté imprévisible révèle ce que sont aussi bien les systèmes économiques et gouvernementaux de cette culture : des moyens de rationaliser et de renforcer des systèmes d'exploitation, de vol et de meurtre (par exemple, essayez de stopper l'exploitation, le vol et le meurtre de Monsanto, et voyez comment vous traitent les gouvernements dans le monde). Mais les volontés imprévisibles non humaines existent. Parfois certaines nous permettent, si nous le voulons, de les voir, et parfois non.
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Il y a des années une amie amérindienne m'a raconté une histoire sur l'autre côté. Juste après la révolte zapatiste, cette amie s'est rendue à Chiapas pour participer à une conférence et à de nombreuses cérémonies avec des milliers d'autres peuples indigènes du monde entier. Une cérémonie était tenue dans le gymnase d'un lycée. Alors que la cérémonie commençait, mon amie a levé la tête et a vu les lumières qui pendaient au plafond commencer à osciller. Elle fait légèrement du coude à un homme à ses côtés et lui a montré cela des yeux. Il a levé les yeux, hoché la tête et s'est replongé dans la cérémonie. Elle a fait de même, jetant occasionnellement un regard pour voir si les lumières continuaient leur balancement. Elles continuaient. La cérémonie a tiré à sa fin. Elle a levé les yeux et a vu que les lumières ont cessé de se balancer juste à ce moment-là. Elle a donné un coup de coude à nouveau et a pointé encore des yeux la lumière. L'homme a regardé, a tourné son visage vers elle et a dit : « Je sais. C'est pour ça que les Blancs veulent nous tuer. »
(…)
Bien d'autres choses que l'écriture viennent de l'autre côté. Globalement toutes les cultures sauf celle-ci ont reconnu non seulement l'existence d'autres ombres ou côtés – j'emploie le mot « ombres » parce qu'il n'y a pas de raison de présumer que tout cela est linéaire : ce côté ici, cet autre côté là-bas ; et j'emploie le mot « côtés » au lieu de « côté » parce qu'il n'y a pas de raison de présumer que tout cela est binaire : seulement ce côté-ci et ce côté-là – mais aussi l'importance de maintenir des relations entre ces ombres et côtés ou parmi eux (ouvrir un accès maintenant ; fermer l'accès plus tard ; ne presque jamais accéder à cette place là-bas ou laisser cette place empiéter trop fortement sur ce côté-ci ; accueillir cet être-ci et non cet être-là quand ils choisissent de venir). Est-il possible qu'il y ait une corrélation entre le fait que notre culture manque de réelles relations avec ces autres côtés et le fait qu'elle détruise tout ce qu'elle touche ?


Dreams, "Les autres côtés", pp.17-18.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas).