Génération vroum-vroum



















Il y a des années j'étais en voiture avec un ami et camarade militant Georges Draffan. C'est celui qui a le plus influencé ma réflexion comme aucune autre seule personne. C'était par un jour très chaud en Spokane. Le trafic était lent. Une longue ligne attendait à un feu. J'ai demandé: « Si tu pouvais choisir de vivre dans un niveau de technologie quel qu'il soit, lequel ce serait? »
Il pouvait aussi bien être amical, militant, que particulièrement grincheux. Et il était dans cette dernière humeur. Il a dit: « C'est une question stupide. Nous pouvons fantasmer sur le fait de vivre comme nous le voulons, mais le seul niveau technologique qui soit viable est l'Age de Pierre. Ce que nous avons maintenant est un moindre biiip – nous sommes une des quelques six ou sept générations qui a déjà eu à entendre le son affreux de la combustion d'un moteur (spécialement les deux-roues) – et en temps voulu nous retournerons dans l'âge où les humains ont vécu la plus grande partie de leur existence. Dans quelques centaines d'années, au plus. La seule question sera ce qu'il restera du monde quand nous en serons arrivés là. »
Il a raison, bien sûr. On n'a pas besoin d'être une flèche en sciences pour comprendre que tout système social basé sur l'utilisation de ressources non renouvelables est par définition non viable: en fait probablement n'importe qui, sauf une flèche en sciences, peut le comprendre. L'espoir de ceux qui souhaitent perpétuer cette culture repose dans quelque chose appelé « ressource de substitution », par laquelle une ressource épuisée est remplacée (je suppose qu'il y a au moins un espoir prévalant celui-ci, c'est que si l'on ignore les conséquences, elles n'existeront pas). Bien sûr, sur une planète aux ressources de facto limitées, cela reporte simplement l'inévitable à plus tard, en même temps que d'ignorer les dégâts causés. Et devine ce qu'il restera de vivant quand on aura épuisé la dernière substitution? Question: quand il n'y aura plus de pétrole, quelle ressource sera le substitut afin que l'économie industrielle continue de fonctionner?
Prémisses non formulés:
a)  des substituts tout aussi efficaces existent;
b)  nous voulons maintenir l'économie industrielle;
c)  son maintien est plus important pour nous (ou plutôt pour ceux qui décident) que les vies humaines et non humaines détruites par l'extraction, le raffinage et l'utilisation de cette ressource.
Similairement, toute culture basée sur l'utilisation non renouvelable de ressources renouvelables est de la même manière non viable: si de moins en moins de saumons reviennent chaque année, tôt ou tard aucun ne reviendra. Si il y a de moins en moins de forêts anciennes chaque année, tôt ou tard il n'y en aura plus. Encore une fois, la substitution de celles qui sont épuisées par d'autres ressources, sauvera, certains le disent, la civilisation jusqu'à la prochaine fois. Mais au « mieux »ndlt, ça retiendra l'inévitable un peu plus longtemps pendant que ça causera encore plus de dégâts sur la planète. C'est ce que nous voyons, par exemple, dans l'effondrement de la pêche un peu partout dans le monde: comme on a depuis longtemps pêché à outrance les poissons les plus économiquement rentables, à présent on s'attaque même à ceux qu'on jetait par dessus bord auparavant, le tout avalé, disparu dans, littéralement parlant, l'insatiable gouffre de la civilisation.
Une autre façon d'avancer tout ça est que tout groupe d'êtres vivants (humains, ou non humains, plantes ou animaux) qui prend plus à ce qui les environne que ce qu'ils peuvent rendre en retour, épuisera, manifestement, son environnement, après quoi il aura ou à bouger, ou sa population va se ramasser (ce qui, par l'occasion, va à l'encontre de la notion comme quoi la compétition dirige la sélection naturelle: si vous hyper-exploitez votre environnement, vous l'épuiserez et vous mourrez; la seule manière pour survivre à long terme est de rendre plus que ce que vous prenez.Hé!) Cette culture – la Civilisation Occidentale – a appauvri tout ce qui l'entourait pendant 6000 ans, débutant au Moyen-Orient, et s'attaquant à présent à la planète entière. Pourquoi d'autre cette culture devrait-elle s'étendre continuellement? Et pourquoi d'autre, qui coïnciderait avec ça, pensez-vous qu'elle a développé une rhétorique – une série d'histoires qui nous apprend comment vivre – explicitant non seulement la nécessité mais aussi la désirabilité et même la moralité de l'expansion continuelle, – dans l'entêtement d'aller là où aucun homme n'a encore mis les pieds – comme prémisse si fondamental qu'il en devient invisible? Les grandes villes qui sont les représentations par définition de la civilisation ont toujours eu besoin de prendre les ressources de la campagne environnante, ce qui signifie, premièrement, qu'aucune grande ville n'a jamais été ou ne sera jamais viable par elle-même, et, deuxièmement, que dans le but de poursuivre leur extension incessante, les grandes villes doivent étendre incessamment les endroits qu'elles hyper-exploitent. Je suis sûr que vous pouvez voir les problèmes que cela présente et le point de non retour vers lequel cela tend dans le cadre d'une planète de facto limitée. Si vous ne pouvez pas ou ne n'avez pas la volonté de voir ces problèmes, alors je vous souhaite bonne chance pour votre carrière dans les affaires ou la politique. Vues les conséquences, cette propension collective, obsessionnelle à zapper ce point de non retour que nous venons d'étudier, passe pour le moins pour être des plus étranges.




Endgame, Catastrophe, pp.35-36.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)




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Ndlt: les guillemets sont de nous.

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