C'est Walt Disney dans tes gènes, réveille-toi !
Ceux qui du moins prétendent s'opposer à l'horreur de cette culture, jouent un rôle complémentaire dans ce même jeu. Nous délions morale et stratégie comme le font sûrement ceux qui sont au pouvoir. Nous portons une stratégie et des tactiques sans les considérer avec la morale. Nous portons la morale sans nous considérer avec une stratégie et des tactiques efficientes.27 Comme toujours, c'est un jeu qui convient à tous ceux qui le jouent. Nous obtenons tous ce qu'on veut obtenir ( ou ce qu'on nous a culturellement induit comme tel). Ceux qui sont au pouvoir étendent leur contrôle. On doit se sentir moral. Tous les joueurs vont récolter les récompenses matérielles pour avoir joué à ce jeu. Et bien sûr les humains sauvages et le monde sauvage sont tous menacés d'extinction.
Nous les membres de cette opposition trop loyale, nous passons souvent bien plus de temps à parler morale que nous le faisons à parler stratégie ou tactiques (ou voire même c'est interdit, et là on aurait accompli quelque chose). Plus précisément, quand nous parlons stratégie ou tactiques, 9 fois sur 10 ( ou pour être plus réaliste 999 fois sur 1000) nous n'avons pas besoin de parler morale parce que nous avons directement intégré le prémisse 4 de ce livre et que la possibilité de l'enfreindre dans des circonstances ou d'autres, est entièrement incompréhensible. Notre morale est devenue morale®, définie, conçue et préemballée pour nous par ceux qui sont en train de tuer la planète. Et nos stratégie ou tactiques sont devenues stratégie® et tactiques®, également définies, conçues et préemballées pour nous par ceux qui sont en train de nous tuer. Définies, conçues et prévues pour être inefficaces.
Tout ça est une manifestation destructrice de soi et des autres très intéressante, bizarre et malheureuse de cette bonne vieille fragmentation qui caractérise notre culture. Ceux qui sont au pouvoir définissent et portent pour nous la morale à une grande échelle, ignorant la morale de la plus petite échelle, et nous portons et supportons (leur) morale à la plus petite échelle, ignorant la morale à grande échelle. Puisque ceux au pouvoir sont venus pour représenter tout ce qui est bon et grand, parce qu' ils sont une civilisation avancée, parce qu'ils développent les ressources naturelles, parce qu'ils apportent la démocratie®, la liberté®, le libre échange®, le Christianisme® et Macdonald, ils peuvent mentir et tuer pour atteindre leurs objectifs. Nous, de l'autre côté, nous devons toujours agir honorablement (plutôt honorablement®). Nous ne devons jamais mentir. Nous ne devons jamais tuer. Nous faisons le sale boulot. Nous portons la morale. Le monde brûle. Pendant ce temps, ceux d'entre nous qui sont dans ce jeu, continuent avec notre participation de poursuivre la carotte du bénéfice matériel de l'exploitation et le bâton de la répression.
Il ne sera pas surprenant de voir que la grosse partie d'entre nous abandonne la responsabilité d'interpréter la morale à petite et grande échelle à nos supérieurs. C'est comme ça que le système fonctionne. Il ne peut pas fonctionner sans ça. Cet abandon est central dans les explorations de ce livre. Depuis la naissance nous sommes entrainés à abandonner cette responsabilité pour presque toutes les figures d'autorité, à presque tous les moments. Les curés sont nos médiateurs entre nous et dieu, et traduisent les paroles de Dieu, ses intentions et ses désirs pour nous (non, pas pour nous, mais à notre place, contre nous) de sorte que nous ne soyons pas tentés de mal comprendre, d'en venir à des conclusions qui ne soient pas alignées avec les leurs, d'interpréter notre propre morale nous-mêmes, ou de l'obtenir directement de Dieu, ou de la Terre. Les scientifiques, aussi, se tiennent entre nous et Dieu – à présent appelé connaissance® – et interprètent les volontés de Dieu (ou de la nature, ou du savoir) pour nous. Les juges se font les médiateurs entre nous et Dieu – à présent appelé justice® – et interprètent les volontés de Dieu (ou de la loi) pour nous. A notre place. Contre nous. Les enseignants se font les médiateurs entre nous et l'éducation, déterminant pour nous comment et ce que nous devons apprendre. Et la liste peut continuer.
Dans chaque cas nous abandonnons notre propre autorité, notre propre responsabilité de faire des choix.
La violence – le droit à la vie de chaque être, peu importe s'il est paisible ou non – subit dans cette culture cette même fragmentation, la même division insensée du travail. Les soldats et les policiers (les agresseurs et les violeurs) portent la violence pour le reste d'entre nous. Ils sont violents. Nous ne le sommes pas. Nous sommes, à la place, moraux. Mais la distinction n'est pas si distincte que ça ; tout prend part, comme je l'ai déjà dit, de ce même jeu malsain. La civilisation – comme toute autre relation violente – est basée sur la force, sur la violence, sur le vol, sur le meurtre, sur l'exploitation, et que le pacifiste (ou vous ou moi) appuie sur la gâchette ou non n'importe guère dans la culpabilité.
La haine est pareille. Les soldats haïssent. Ils sont entraînés à haïr. C'est à ça que servent les camps d'entraînement.29 Nous, de l'autre côté, nous ne haïssons pas.30 La haine c'est pour les tueurs. Nous ne tuons pas. Donc nous ne haïssons pas. Les soldats portent la violence pour nous, et ils perpètrent les crimes pour nous. C'est pareil pour la police. Nous portons la morale pour eux. Et les pauvres gémissent sous les bottes des soldats, qui représentent les nôtres, piétinant leurs visages.
Nous sommes coupés de notre propre violence, nous sommes coupés de notre propre non-violence. Nous n'avons ni l'une ni l'autre. Nous sommes des coquilles vides, des gens partiaux qui prétendent être entiers, mais ne sont qu'une dualité jumelle désavouée.
Tout vient de la déconnexion. Cette culture est basée sur le déconnecté. Les hommes (forts) versus les femmes (faibles), l'homme (bon) versus la nature (viciée), la pensée (honnête) versus l'émotion (trompeuse), l'esprit (pur) versus la chair (polluée), l'amour (bon) versus la colère (mauvaise), le détachement (bon) versus l'attachement (mauvais), la non-violence (rigoureuse) versus la violence (mal), et ainsi de suite ad nauseum. J'ai si souvent entendu les pacifistes ou autres dire que nous avons besoin de se débarrasser de tout dualisme, qu'en parlant de ceux qui sont en train de tuer la planète comme étant mes ennemis, je perpètre les mêmes dualismes qui nous ont menés là. Mais lutter pour éradiquer le dualisme c'est perpétrer ce même dualisme ! Cette fois c'est le non-dualisme (bon) versus le dualisme (mauvais). Tout cela est insensé. Le problème n'est pas qu'il y ait des paires d'opposés. Les opposés existent, simplement. Ce n'est pas non plus le problème que des valeurs leur soient assignées. Nous pouvons – et je le voudrais certainement – discuter ces valeurs choisies par la culture pour chacun de ces paires duelles, mais la vérité est que chaque opposé a différentes valeurs. Et cela mène au réel problème, le mot versus. Oui, les hommes et les femmes sont différents. Mais ils ne sont pas en opposition ; ils travaillent ensemble. Oui, les humains sont différents des non-humains (et cela serait aussi vrai que les saumons sont différents des non-saumons, et que les séquoias sont différents des non-séquoias). Mais ils ne sont pas en opposition, ils travaillent ensemble. La pensée est différente de l'émotion, mais ils ne sont pas en opposition, ils travaillent ensemble. L'esprit est différent de la chair, mais ils ne sont pas en opposition, ils travaillent ensemble.(...) Le dualisme est différent du non dualisme, mais ils ne sont pas en opposition, ils travaillent ensemble. Eh.
Que se passe-t-il si vous vous reconnectez ? (…)
La « réponse » n'est pas dans la tentative désespérée d'éradiquer la haine de notre cœur, de porter toujours plus d'amour (…) La « solution » est de réintégrer, de sentir ce que nous ressentons, de déterminer notre propre morale (à grande et petite échelle) et d'agir en conséquence.
(…)
Que voulez-vous ? La question n'est pas rhétorique. Ne passez pas sur ces lignes pour aller au chapitre suivant. Stop. Posez le livre. Allez dehors. Faites une longue promenade. Regardez les étoiles. Caressez l'écorce d'un arbre. Sentez le sol. Écoutez une rivière. Demandez-leur ce qu'ils veulent. Demandez à votre cœur ce que vous voulez. Demandez à votre tête. Demandez encore à votre cœur. Alors cherchez comment vous y prendre pour l'obtenir.
Endgame vol.2, Gagner, pp.531-534.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas).
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27 Et ne me racontez pas n'importe quoi sur notre efficacité. Si nous étions efficaces, le monde ne serait pas en train d'être tué.
29 Nous, les hommes, sommes aussi entraînés à haïr les femmes. Mais probablement ne devrions-nous pas en parler, n'est-ce-pas ?
30 De même, les femmes ne sont pas supposées haïr, ou alors ce sont des castratrices.
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