Fungi - part 2


















« Gomphidius glutinosus est un champignon mycorhizien gluant qui grandit dans toutes les forêts de conifères de la planète. C'est un hyper accumulateur de césium-137, une substance radioactive que Tchernobyl a rejetée dans l'atmosphère. Les Ukrainiens étaient bien sûr plutôt concernés par la consommation alimentaire des champignons locaux, donc ils analysèrent le taux de radioactivité et des métaux lourds dans plusieurs champignons. Et voilà, ces champignons en question plus haut concentraient un taux de césium-137 plus de 1000 fois supérieur à la contamination environnante. Le champignon devenait vraiment très radioactif. Pourquoi la nature aurait fait cela ? Le champignon est devenu hyper radioactif, mais en faisant cela il vidait l'écosystème environnant de sa radioactivité en la concentrant sur lui. Et voici ce que je pense de ce que les champignons font : ils ont une influence de gestion et de maternage sur l'écosystème qu'ils peuvent désintoxiquer pour le bénéfice de la communauté. (…) Ce que je suis en train de dire c'est que les champignons savent faire attention à une terre afin de garder en tête la santé des populations des organismes faisant prospérer les forêts, lesquelles créent des champs de débris permettant aux champignons de se développer en aval. Ils ont une perception avancée de la gestion et de la santé d'un écosystème, ils essaient d'améliorer la richesse des sols (…) et leur capacité écologique. En augmentant cette capacité, la biodiversité se développe (...) »
 Paul Stamets, communication personnelle, 27 juin 2007.



L'article qui suit parle de lui-même.

Le titre :
« Tchernobyl : ces champignons qui se nourrissent des radiations. » 1

L'article :
« Tchernobyl est une ville abandonnée dans le nord de l'Ukraine, dans la province de Kiev Oblast, près de la frontière avec la Biélorussie. Il y a eu une découverte biologique très intéressante dans la cuve du réacteur de Tchernobyl. A la manière d'un film SF, un robot envoyé à l'intérieur du réacteur a découvert une fine couche noire et gluante en train de pousser sur les murs. Puisque c'était hautement radioactif dans cette cuve, les scientifiques ne s'attendaient pas à tomber sur une forme de vie, encore moins en train de prospérer. Le robot a récupéré des échantillons et leur examen s'est révélé plus extraordinaire encore. Des chercheurs du Albert Einstein College of Medecine (AEC) ont trouvé des preuves que le champignon possédait un talent autre en plus de celui de décomposer la matière : la capacité d'utiliser la radioactivité comme source d'énergie pour fabriquer de la nourriture et se développer. En détaillant cette recherche pour la Bibliothèque Publique de Science ONE, Arturo Casadevall de l'AEC dit que son intérêt s'était éveillé il y a 5 ans lorsqu'il avait lu comment un robot envoyé dans une zone hautement radioactive du réacteur de Tchernobyl était revenu avec des échantillons de champignons noirs, riches en mélanine qui poussaient sur les murs délabrés de la cuve. J'ai trouvé cela très intéressant et ai commencé à discuter avec mes collègues sur la façon dont ce champignon pouvait utiliser les radiations comme source d'énergie.  Cet échantillon, une véritable collection de plusieurs champignons, faisait plus que de survivre dans un milieu radioactif, il utilisait vraiment les rayons gamma comme source nutritive. Les fungi utilisent la mélanine, une substance chimique présente également dans la peau humaine, et qui agit de la même manière que la chlorophylle pour les plantes. Casadevall et ses collègues chercheurs ont mis en place des tests variés en utilisant plusieurs champignons. Deux types – un était poussé à faire de la mélanine (Crytococcus neoformans) et l'autre en contenait naturellement (Wangiella dermatidis) – ont été exposés à des niveaux de radiation environ 500 fois plus fortes que des niveaux seuils. Ces deux espèces contenant de la mélanine ont grandi plus vite, de façon significative, que quand elles ont été exposées à des niveaux seuils de radiations. La molécule de la mélanine a été touchée et sa composition chimique a été altérée. C'est une découverte incroyable, personne n'avait soupçonné que quelque chose de ce genre pouvait se produire. »


Personne exceptés peut-être les champignons eux-mêmes. Ils savaient. Ils savent depuis très longtemps.



Dreams,"Fungi", pp.87-88.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucinda )




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1    Marcus, "Chernobyl:Fungus that Feeds on Radiation" 





 

Fungi - part 1

















Je crois que le mycélium est une forme innée d'intelligence, pour ce que le mycélium fait, et son habilité à s'adapter, et les produits qu'il fournit pour réparer les écosystèmes, ce qui suppose que c'est bien plus qu'un organisme désintéressé d'une importance relative.
Paul Stamets




J'ai longtemps pensé que l'évolution n'avait strictement pas de hiérarchie. Je n'ai jamais été très patient avec ceux – et ils sont nombreux – qui considèrent que les humains sont l'apex de l'évolution, et qui croient évidemment que toute l'évolution a eu lieu de sorte que nous puissions regarder la télévision. Ah, et que nous puissions détruire la planète (et je vais en parler un peu plus après, ma description actuelle des extinctions de masse m'ennuie pour un certain nombre de raisons, dont l'une est que je ressens cela comme si ça soutenait ces deux erreurs : que l'évolution est progressive et mène à l'humain, et que la destruction industrielle que les humains sont en train de causer est en quelque sorte naturelle. J'en parlerai plus tard). Il a été clair longtemps pour moi que non seulement nous ne sommes pas l'apex de l'évolution mais qu'en plus il n'y a pas d'apex du tout. 
Après avoir lu le livre de Paul Stamets, Mycelium Running : How Mushrooms Can Help Save the World, je n'en suis plus si sûr. Ce n'est pas trop de dire que ce livre a fondalement changé ma façon de percevoir le monde. Oh oui, je crois encore que les humains ne sont pas l'apex de l'évolution, et je crois encore que l'évolution n'est pas hiérarchique, mais depuis que j'ai lu ce livre ( et discuté avec Paul stamets) il est devenu clair pour moi que le mycélium – fungi, champignon, mycota, moisissure, tout cela – sait des choses que nous ne savons pas. Et bien des choses, en fait. Saviez-vous, par exemple, que les fungi sont bien plus anciens que nous – animaux – le sommes, et que nous sommes plus proches des fungi que des plantes ? Saviez-vous – moi je ne savais pas – que nous avons évolué des fungi ? Comme Paul Stamets dit : « Il y a près de 600 millions d'années, nous avons divergé des fungi. La branche des fungi qui a mené aux animaux a évolué pour capturer les nutriments en les enveloppant avec des poches cellulaires, des estomacs primitifs essentiellement. » Les fungi gardent leur estomac à l'extérieur et laisse la nourriture venir à eux, et nous animaux avons grandi autour de nos estomacs et nous sommes mis à nous déplacer pour trouver de la nourriture.
Il continue: « Alors que les espèces émergeaient des habitats aquatiques, les organismes s'adaptèrent en développant des moyens d'éviter les pertes d'humidité. Chez les créatures terrestres, la peau est composée de plusieurs couches des cellules ayant émergé pour faire barrière contre les infections. Ayant évolué différemment, le mycélium a gardé sa structure rétiforme d'entrelacement de chaines cellulaires et a migré dans le sous-sol, formant ainsi une toile nutritionnelle sur laquelle la vie s'est développée. »
D'accord, c'est cool Derrick, mais comment cela change notre perception du monde ? 
Saviez-vous que les fungi étaient intelligents ? Je ne le savais pas. Mais Paul Stamets a écrit : « Je crois que le mycélium opère à un degré de complexité qui excède de loin celle du pouvoir informatique de nos ordinateurs les plus avancés. » Il l'explique. Les fugi montrent simplement de l'intelligence (même d'après les mesures de nos propres standards narcissiques) : si vous mettez un peu de moisissure dans un dédale, il grandira au hasard jusqu'à ce qu'il trouve de la nourriture. Si vous prenez un échantillon de cette moisissure pour le replacer dans un dédale similaire, il se souviendra de l'endroit où se trouve la nourriture et grandira direct vers là où elle se trouve, sans se tromper. De plus, si vous comparez l'organisation du transfert d'informations chez le mycélium à celle d'internet, vous trouverez que, comme Paul Stamets l'a dit, « le mycélium est similaire à l'optimisation mathématique que les théoriciens et scientifiques ont développé pour optimiser l'informatique internet. » Ou plutôt l'internet informatique est similaire au mycélium.
J'ai longtemps vécu dans des forêts, et j'ai longtemps été un défendeur des forêts. Ce livre m'a aidé à comprendre que depuis le début je me méprenais sur les forêts. Je ne voyais la forêt, littéralement, que par les arbres, ce qui signifie que je pensais que les arbres étaient ce qui faisait la forêt. Mais à présent je comprends que ce qui fonde les forêts repose dans le sol : les fungi. Encore une fois, Stamets écrit : « Je crois que le mycélium est le réseau neurologique de la nature. Des mosaïques entrelacées de mycéliums avec des membranes permettant des transferts d'informations infusent les habitats. Ces membranes sont conscientes, réagissent au changement, et ont en tête la santé à long terme de l'environnement qui les héberge. »
J'ai dû lire cette dernière phrase trois fois. Mais maintenant je capte.
Ne vous êtes-vous jamais demandé, par exemple, comment les petits arbustes survivaient dans l'ombre de leurs bien plus larges ainés ?
J'ai demandé cela à Paul Stamets. 
Il a répondu : « Si vous avez été dans une forêt ancienne, vous avez probablement vu des tsugas pousser sur des souches moisies. Ils sont habituellement les premiers arbres à émerger dans ces environnements très ombragés. Ils ont très peu d'exposition à la lumière. Quand ces jeunes arbres ont été enlevés et mis dans une serre avec la même exposition à la lumière, ils sont tous morts. La question est devenue, où ces jeunes arbres trouvent-ils leurs nutriments ? Alors des chercheurs ont marqué le carbone par irradiation et ont observé son déplacement dans la forêt. Ils ont trouvé que les bouleaux et les aulnes grandissant dans des milieux lacustres, aux bords des lacs – avec plus de lumière du soleil – fournissaient des nutriments aux tsugas via le mycélium. » 
J'ai dit : « Attends. Sont-ils... » 
Il a dit : « Oui. Le mycélium – qui, si tu te souviens, se développe dans tout le sol de la forêts et assure la connexion entre les différentes parties de la forêts à la manière d'une toile internet – transfèrent des nutriments d'arbres de certaines espèces à d'autres espèces qui en ont besoin pour leur survie. Le mycélium prend soin de la santé de la forêt. Je pense qu'il fait cela parce qu'il comprend que la santé de la biodiversité de l'écosystème permet la survie des populations fongiques. Je pense que ces fungi en sont venus à apprendre à travers l'évolution que la biodiversité et la résilience des écosystèmes sont bénéfiques à tous ses membres et pas qu'à un seul. »
Bien sûr il a raison. Et bien sûr les fungi ont raison. Tout le monde le sait, sauf les membres de cette culture, qui font tout ce qu'ils peuvent pour essayer d'oublier, et essayer de défaire ces liens.



Dreams, "Fungi", pp.83-85.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas )