De la violence domestique à la violence culturelle





















A présent je trouve cette liste très intéressante en elle même, et vu le taux de femmes agressées (juste dans ce pays, une femme est battue par son partenaire toutes les 10 secondes), elle a aussi son importance. Mais je l'ai trouvée encore plus intéressante lorsque j'ai plaqué ces signes d'alerte sur la culture en général.

Jalousie.
Le Dieu de cette culture a toujours été jaloux. Nous pouvons lire, ça et là dans la Bible: « car je suis l'Éternel ton Dieu, qui est jaloux, punissant l'iniquité des pères sur les enfants, jusqu'à la troisième et à la quatrième génération de ceux qui me haïssent.»162 ou « tu ne te prosterneras pas devant d'autres dieux, ou devant les dieux des peuples qui t'entourent (…) tu n'imiteras point ces peuples dans leur conduites, mais tu les détruiras, tu briseras leurs statues.» Le Dieu d'aujourd'hui est tout aussi jaloux, qu'il prenne le nom de Science, Capitalisme ou Civilisation. La science est aussi monothéiste que la chrétienté, d'autant plus qu'elle n'a pas besoin de dire qu'elle est jalouse: nous avons si bien intériorisé son hégémonie que beaucoup d'entre nous croient que la seule voie pour tout connaître sur le monde doit passer par la science: la Science est la Vérité. Le Capitalisme est si jaloux qu'il n'a même pas pu permettre l'existence de sa propre version soviétique (ce sont deux économies commandées par des États subventionnés,164 (…)) La Civilisation est juste aussi jalouse que la science et le capitalisme, interdisant systématiquement à qui que ce soit de percevoir le monde autrement qu'en termes utilitaires, qu'en termes d'esclavage, de dépendance, donc rationnellement. Beaucoup de penseurs se définissant comme libres penseurs aiment évoquer les dizaines de millions de personnes qui ont été tuées parce qu'elles refusaient la suprématie du Dieu Amour chrétien – parce que Dieu est après tout un dieu jaloux – mais par contre mentionnent très rarement les centaines de millions de (indigènes ou autres) gens qui ont été tués parce qu'ils refusaient la suprématie du Dieu de la civilisation de la production, un Dieu tout aussi jaloux que le Dieu chrétien, un Dieu profondément dévoué à la conversion morbide du vivant.

Contrôle.
Cela fait deux jours à présent que je réfléchis à ce que je vais mettre dans ce paragraphe. J'ai pensé à parler des systèmes scolaires publics, qui a comme fonction primordial de briser les volontés de l'enfant – en les faisant rester assis à une place pendant des heures, des jours, des semaines, des mois, des années jusqu'à la fin, laissant leur vie filer – pour les préparer à leur futur d'esclave salarié. Après j'ai pensé à la publicité, et plus largement à la télévision, et comment dans nos vies entières nous sommes manipulés par des autres lointains qui n'ont pas nos intérêts les meilleurs à cœur. (…) J'ai pensé au Communiqué du Joint Vision 20/20 et ses objectifs de « domination à large spectre. » J'ai pensé au décret de sécurité intérieure de 2002, voté au Sénat à 90 voix pour 9, qui, même dans les mots de l'écrivain conservateur Willian Saffire, signifie que « Chaque achat que vous faites avec une carte de crédit, chaque abonnement à un magazine, chaque ordonnance médicale, chaque site web visité, chaque e-mail envoyé ou reçu, chaque grade académique reçu, chaque dépôt d'argent sur votre compte, chaque voyage que vous faites et chaque événement auquel vous assistez – toutes ces transactions et ses communications iront dans ce que le département de la Défense appelle 'une immense base de données centralisée virtuelle'. A ce dossier informatisé de votre vie privée vous pouvez ajouter tous les documents que le gouvernement a sur vous – passeport, permis de conduire, péages passés, divorce ou rapport juridique en tout genre (…) toute votre vie tracée sur papier en plus des vidéo surveillances – et vous avez le rêve (…): une « information totale » sur chaque citoyen américain. »167 J'ai pensé à la science, qui a pour but ultime (et immédiat) la conversion du sauvage et de l'imprévisibilité du monde naturel dans quelque chose d'ordonné, et de contrôlable. Il y a simplement énormément d'exemples dans les bases de notre culture pour ce qui est du besoin de contrôler pour en choisir. Vous choisissez.

L'engagement rapide:
Je ne suis pas sûr que vous puissiez être moins prompts à choisir que ces Indiens à qui on a donné à choisir, les pieds sur un bûcher, entre le christianisme et la mort. Un Indien a dit en guise de réponse, que s'il se convertissait au Christianisme, alors il irait au Paradis après la mort, et y retrouverait tous les autres chrétiens, c'est cela? Et bien qu'il préférait être brûlé.
Mais il y a quelque chose d'autre à propos de cette rapidité. La civilisation est présente sur ce continent depuis seulement quelques centaines d'années. Il y a beaucoup d'endroits dans ce continent, comme celui où je vis, qui ont été civilisés très récemment. Cependant dans ce très court terme cette culture nous a enrôlés et embarqué la terre dans la grande marche technologique tout comme elle a anéanti la production naturelle de ce continent, en réduisant le vivant à l'esclavage, en terrorisant, et/ou en éradiquant ses habitants non humains et en donnant les choix aux humains entre la civilisation et la mort. Une autre façon de dire ça est qu'avant l'arrivée de la civilisation les humains vivaient sur ce continent depuis au moins une dizaine de milliers d'années, et probablement depuis bien plus longtemps, et pouvaient boire sans problème l'eau des sources et des rivières. Après le court séjour de cette culture, non seulement l'eau des rivières mais toute la nappe phréatique a été intoxiquée, mais aussi même le lait des mères. C'est un engagement extraordinaire et extraordinairement immédiat de notre façon de vivre (ou de ne pas vivre!) dans la voie de la technologie. Autrement dit: actuellement la décision de contrôler et de tuer une rivière en construisant un barrage prend quelques années, le temps de rédiger un Communiqué sur les Impacts Environnementaux et de trouver des financements. Le processus devrait prendre une décade ou deux., tout au plus. Mais une telle décision, si elle doit être vraiment prise, devrait l'être après des générations d’observations: comment pouvez-vous savoir ce qui est le mieux pour chaque composant d'une terre si vous n'interagissez pas avec assez longtemps pour connaître ses rythmes? (…)
Si nous n'étions pas si agressifs avec la terre, les uns envers les autres, envers nous-mêmes, nous retournerons nous asseoir pour voir ce que la terre a à nous donner, ce qu'elle veut que nous possédions, ce qu'elle attend de nous, en quoi elle a besoin de nous.
Mais nous sommes agressifs, et en un battement de paupières à l'échelle d'une montagne nous avons forcé ce continent (et le monde) à entrer dans une relation reposant sur la violence. La bonne nouvelle est que la nouvelle semble être sur le point de se mettre à se débarrasser de cette relation.

La dépendance.
Un des avantages de ne pas à avoir à importer de ressources est que vous ne dépendez ni des propriétaires de ces ressources ni de la violence nécessaire pour les éradiquer et prendre leurs possessions. Un des avantages de ne pas posséder d'esclaves est que vous n'avez pas besoin d'eux ni pour votre « confort et votre raffinement » ni même pour ce qui est nécessaire à la survie. Nous sommes actuellement dépendants du pétrole, des barrages, notre train de vie (ou, ici encore, de non-vie) repose sur l'exploitation. Sans ça beaucoup d'entre nous perdraient leur identité.
Bien sûr tout le monde est dépendant. Une des grandes vanités de ce train de vie est de prétendre que nous sommes indépendants de nos terres, et bien sûr de notre corps: que les rivières pures (comme le lait maternel sans toxines) et les forêts intactes sont du luxe. Nous prétendons que nous pouvons détruire le monde et vivre avec. Nous pouvons empoisonner notre corps et vivre avec.
C'est insensé. Les Tolowa dépendaient des saumons, des myrtilles, des biches, de l'oseille, comme de tout ce qui les entourait. Mais c'était réciproque, comme dans toute relation établie depuis longtemps.
J'ai passé quelques jours à essayer de comprendre les différences entre ces deux formes de dépendance: la dépendance parasite entre le maître et l'esclave, entre l'intoxiqué et sa toxine d'un côté, et la réelle dépendance selon laquelle la vie repose sur l'autre. C'est sûr, dans certains cas la différence est évidente: la dépendance ne va que dans un sens. Le monde naturel ne gagne rien de notre exploitation abusive, ou du moins il n'en tire rien ( et les dioxines ne comptent pas.) (…) Mais dans d'autres cas la différence devient plus subtile. Mes étudiants prisonniers ont gagné quelque choses de la drogue, de quelle que manière que ce soit, ou alors ils ne les auraient pas volontairement prises. Les adultes aux prises dans une relations violentes ont manifestement gagné quelque chose de cette relation – ou du moins l'ont perçu comme ça – sinon ils auraient pris la tangente. Alors quoi? La vie de mes étudiants n'a par été pour parler ainsi remplie d'amour mais plutôt de sévices qui feraient même passer mon père pour un saint. Beaucoup ont grandi dans un climat d'oppression sociale et raciale. Pour eux peut-être la drogue a neutralisé, comme ils disent, une réalité qui les oppressait. Mais cela va plus loin: je sais que beaucoup d'indigènes dans le monde peuvent utiliser des drogues hallucinogènes ou psychotropes dans des rituels (ou alors de façon très ponctuelle) pour accroître sa perception et sa compréhension. Quelle est la relation, s'il y en a une, entre l'usage des drogues de mes étudiants et celle des indigènes? Je ne sais pas. Et jusqu'à présent dans le cadre de la violence domestique, je sais que dans ma propre famille, ma mère était convaincue (par mon père et par la société) qu'il n'y avait pas d'autres options, que de quitter la personne qui la violentait lui causerait une plus grande souffrance. Elle pourrait perdre ses enfants et probablement sa vie. En échange de sa souffrance émotionnelle et physique, elle pouvait vivre dans une belle maison. (…)




Endgame, Abus, pp.160-164.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas)



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162 Exode, 20:5.
164 Et pour ceux qui sont assez naïfs pour croire que le Capitalisme est guidé par quelque main invisible mythique issue de quelque mythique Marché Libre, je vais donner ces propos de quelqu'un que vous pourriez connaître, Dwayne Andreas, le PDG de Archer Daniels Midland, une agrocorporation qui a fait beaucoup pour détruire la vie des familles de fermiers dans le monde: « Il n'y a pas un seul grain de quoi que ce soit dans le monde qui soit vendu au sein du marché libre. Le seul endroit où vous voyez du marché libre, c'est dans les discours des politiciens. »
167 Safire William, « You are a Suspect », New York Times, 14/11/2002.

Réviser ses bases























L'autre jour, Dear Abby a fait la liste des signes pour reconnaître des agresseurs potentiels, annonçant (tout en majuscules) « SI VOTRE PARTENAIRE PRESENTE DE TELS SIGNES, IL EST TEMPS DE PARTIR. » Cette citation m'a mené aux Projets pour les Victimes de Violence Familiale, et ce que j'y ai trouvé m'a intrigué. J'étais spécialement intrigué par la dernière phrase de l'introduction: « Au début l'abuseur essayera d'expliquer son comportement par le fait que c'est par amour, parce qu'il se sent concerné, et la femme se sentira au début flattée. Avec le temps, les comportements se font de plus en plus sévères et servent à dominer la femme. »161 Cela m'a remis en tête quelque chose qu'a écrit Robert Jay Lifton dans son livre extraordinaire The Nazi Doctors, sur la façon dont on peut commettre n'importe quelles atrocités massives, si on arrive à se convaincre que ce que l'on fait en fait n'est pas nocif, mais au contraire bénéfique. Comme, par exemple, les Nazis dans leur tête ne commettaient de génocide et de massacres de masse, ils purifiaient la « race aryenne. » Bien sûr nous voyons cela dans ce qui fonde notre quotidien, quand nous, civilisés, nous n'asservissons pas les pauvres et les indigènes, nous les civilisons, et nous ne détruisons pas le monde naturel, mais nous développons des ressources naturelles. Et à un niveau personnel, j'ai pensé à ça: comme il est rare que quelqu'un fasse quelque chose parce c'est un salaud, ou une salope. Je sais que quand je n'ai pas très bien traité des gens, j'ai présenté mes actions comme totalement rationalisées, et j'ai en général cru en mes rationalisations. C'est ça qui est merveilleux avec le déni: par définition vous ne savez pas que vous êtes en plein dedans. Bon, mes propres transgressions ont été assez mineures – j'ai heurté des sentiments ça et là – mais je me suis demandé à propos de ce qui était plus conséquent, et cela en fait depuis que j'étais enfant: est-ce que mon père croyait les mensonges qu'il disait sur sa propre violence? Pensait-il réellement qu'il battait mon frère à cause de l'endroit où il avait garé la voiture? Ou plus sérieusement y croyait-il vraiment le jour d'après quand il niait avoir commis des violences? Similairement, ceux au pouvoir croient-ils en leur propres mensonges? Dans le cœur de leur cœur (si l'on présume qu'ils en ont encore un) est-ce que les scientifiques de la National Science Foundation croyaient vraiment qu'il n'y avait aucun lien entre les explosions sonores et la mort des baleines? Est-ce que la National Academy of Sciences biostitutes croyait vraiment qu'il n'y a aucun lien entre le manque d'eau dans le Klamath et les saumons qui meurent? Il y a-t-il quelqu'un qui croit que la civilisation industrielle n'est pas en train de tuer la planète?
Maintenant, la liste. J'ai beaucoup raccourci (et dans certains cas modifié) le commentaire du Projets, et bien que parfois ce sont des femmes qui battent des hommes (et certainement dans cette culture – où chacun de nous est plus ou moins fous – les femmes ont leur part dans les abus aussi), la violence physique est en majeure partie le fait des hommes à l'encontre des femmes, ce qui m'amène à utiliser le masculin pour la personne qui frappe. Toutefois, si votre partenaire est une femme et répond à ces caractéristiques, vous devriez également suivre les conseils de Dear Abby.Ndlr
La liste commence avec la jalousie: bien que l'abuseur dit que la jalousie est un signe d'amour, c'est plutôt un signe d'insécurité et de possessivité. Il va vous demander à qui vous parlez, vous accuser de flirter, être jaloux du temps que vous passez avec votre famille, vos amis et vos enfants. Il peut appeler constamment, ou se pointer par surprise, vous empêcher d'aller travailler parce que « vous pourriez rencontrer quelqu'un », vérifier le compteur de votre voiture.
Cela mène au 2ème signe, vouloir contrôler votre comportement: au début, l'abuseur dira qu'il se sent concerné par votre sécurité, que vous devez bien utiliser le temps qui vous est imparti, ou prendre les bonnes décisions. Il sera en colère si vous êtes « en retard » après les courses ou un rendez-vous, vous posera des questions très précises sur où vous êtes allé, à qui vous avez parlé. Il peut finalement vous empêcher de prendre des décisions personnelles sur votre maison ou vos vêtements; il peut garder votre argent ou même vous amener à lui demander la permission de quitter la pièce ou la maison.
La 3ème caractéristique est un engagement sentimental rapide. Il en vient à des mots forts – « je n'ai jamais ressenti un amour aussi fort » – et vous presse d'entrer dans un engagement exclusif immédiatement.
Cette pression est dur à la 4ème caractéristique: il a désespérément besoin de quelqu'un car il est très dépendant, il devient assez vite dépendant de vous pour tout, il attend que vous soyez la femme parfaite, épouse, mère amante, amie. Alors il vous rend dépendant dans le but d'accroître son contrôle en disant: ' si tu m'aimes, je suis tout ce dont tu as besoin; et tu es tout ce dont j'ai besoin. » Vous êtes supposé prendre soin de lui affectivement et domestiquement.
A cause de cette dépendance il va essayer de vous isoler de toutes ressources. Si vous avez des amis de sexe opposé, vous êtes une « salope.» Si vous avez des amis de même sexe vous êtes homosexuel. Si vous êtes proches de votre famille, c'est que vous y êtes « trop accroché. » Il accusera les gens qui vous soutiennent de « faire des embrouilles. » Il peut vouloir vivre à la campagne sans téléphone, il peut ne pas vouloir vous laisser prendre la voiture, vous empêcher de travailler ou d'étudier.
La 6ème caractéristique est qu'il reproche aux autres ses propres problèmes. Si il ne réussit pas dans la vie, c'est que quelqu'un l'en empêche. Si il fait une erreur, c'est que vous devez l'avoir contrarié ou déconcentré. C'est de votre faute si ça vie n'est pas parfaite.
Et c'est de votre faute s'il n'est pas heureux. C'est de votre faute s'il est en colère. « Tu me mets en colère quand tu ne fais pas ce que je veux que tu fasses. » Si il doit vous faire du mal, alors, c'est aussi de votre faute, car après tout, c'est vous qui le rendez fou. Et vous ne voulez sans doute pas faire cela.
Il se contrarie facilement. Il est hyper sensible. Les plus petits déboires sont des attaques personnelles.
Il est souvent cruel, ou du moins insensible à la douleur et à la souffrance des humains et non humains, et aussi des enfants. Il peut les battre parce qu'ils ne font pas ce qu'il veut: il peut fouetter un bambin de 2 ans s'il mouille sa couche.
Il peut mêler sexe et violence. Cela peut être sous couvert de jeux, il peut vouloir jouer une scène où vous êtes sans défense, vous laisser entendre que mimer un viol pourrait l'exciter. Il peut aussi laisser tomber le jeu, et agir.
Le signe alarmant suivant est qu'il peut percevoir avec une grande rigidité les rôles respectifs des deux genres. Vous êtes supposé rester à la maison à son service. Vous devez lui obéir, parce que les femmes sont inférieures, moins intelligentes, incapables d'être autonomes sans les hommes.
Il peut vous agresser verbalement, vous tenir des propos cruels, blessants et dégradants. Il peut faire échouer vos réalisations, et peut tenter de vous convaincre que vous ne pouvez pas fonctionner sans lui. Cette agression peut venir quand vous êtes surpris ou vulnérable: il peut, par exemple, vous réveiller pour vous agresser.
Des retournements soudains d'humeur peuvent être un autre signe alarmant. Il peut être sympa, puis la seconde d'après être d'une violence explosive, ce qui signifie qu'il n'a jamais été vraiment sympa.
Vous devriez vérifier s'il n'a pas déjà eu une histoire de violences conjugales. Il peut reconnaître qu'il a frappé des femmes dans le passé, mais il affirmera que ce sont elles qui l'ont amené à faire ça. Vous pouvez apprendre de ses ex qu'il est agressif. Il est crucial de noter que les coups ne sont pas contextuels: si il a battu quelqu'un d'autre, il aura tendance à faire de même avec vous, et peu importe à quelle point vous tachez d'être parfait pour lui.
Vous devriez être très prudent si il emploies la menace pour vous contrôler. « Je vais te faire fermer ta gueule », ou « je vais te tuer », ou « je vais te briser le cou. » Un homme violent peut vous convaincre que tous les hommes menacent leur partenaire, mais ce n'est pas vrai. Il peut aussi tenter de vous convaincre que c'est vous qui êtes responsable de ces menaces: il ne vous menacerait pas si vous ne l'y poussiez pas.
Il peut briser ou frapper des objets. Il y a deux variantes de ce comportement: le premier punit en détruisant des objets que vous aimez. Le deuxième est dans le but juste de vous faire peur.
La dernière caractéristique de la liste des Projets est l'emploi de la force pendant une dispute: vous tenir plus bas que lui, vous empêchant physiquement de quitter la pièce, vous pousser, vous bousculer, vous forcer à l'écouter.




Endgame
, Abus, pp.157-159.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)


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161 « Signs to Look for in a Battering Personality » Projects for Victims of Family Violence, Inc.
Http://www.angelfire.com/ca6soupandsalad/content13.htm (accès le 17/11/2002) 
Ndlt: en français, la gestion des genres étant un peu différente, nous avons choisi de mettre le genre des deux protagonistes de la relation abusive au masculin, comme ça, pas de jaloux!




LIRE LA SUITE: De la violence domestique à la violence culturelle.








Seattle, novembre 1999.
























Une histoire. Seattle, fin novembre 1999. Une grosse manifestation de protestation contre l'Organisation Mondiale du Commerce et plus largement contre la consommation du monde par les riches, a tourné en échauffourées: la police a lancé des fumigènes, du poivre en sprays et tiré des balles en caoutchouc contre des manifestants non violents, qui ne présentaient aucune résistance. Parmi les 10000 manifestants se trouvaient plusieurs centaines de membres d'un groupe anarchiste appelé le Black Bloc, qui ne joue pas avec les règles de désobéissance civile. Celle-ci est normalement une danse franche et loyale entre la police et les manifestants.
Il y a certaines règles, qui peuvent être empiètées d'un commun accord de la police et des manifestants, lesquels seront arrêtés, un peu brutalisés et auront une amende. Parfois, des activistes ndlt de Plowshares, dont le courage ne pourra jamais être remis en question, surgissent dans des installations militaires et/ou les mettent en pièces à coups de marteaux, (…) et répandent leur sang en guise de protestation symbolique contre celui que répandent ces armes. Ils attendent ensuite que la police arrive, voire même l'appellent pour être surs qu'elle vienne, les arrête, et du coup prennent des années de prison. D'autres fois la danse peut prendre une teinte plus comique, les organisateurs des protestations fournissant à la police une estimation du nombre de manifestants qui doivent être arrêtés volontairement (de façon à ce que la police prévoit le nombre de fourgons adéquat) et même fournissent les identités pour rendre les arrestations plus faciles. C'est un super système, garantissant aux deux partis un confort moral. La police se sent bien car elle a arrêté les barbares aux portiques, les militants se sentent bien parce qu'ils ont manifesté – j'ai été arrêté pour ce en quoi je croyais – et ceux au pouvoir se sentent bien car rien n'a changé.
Le Black Bloc ne joue pas ce jeu (bien que leurs règles à eux, comme nous le verrons in fine, ne marchent pas mieux).
A Seattle, ils ont cassé des fenêtres de compagnies ciblées pour protester contre les droits de propriétés privées qui priment sur le reste, et qui sont à distinguer des droits personnels: « Les derniers», comme une sous branche du groupe l'a déclaré « sont basés sur l'usage tandis que les premiers sont basés sur le marché. Le prémisse de la propriété personnelle est que chacun de nous ait ce dont il a besoin. Le prémisse de la propriété privée est que chacun de nous a ce dont a besoin l'autre. Dans une société basée sur les droits de la propriété privée, ceux qui sont capables d'accroître leur possession, donc ce dont a besoin l'autre, ont plus de pouvoir. Par extension, ils exercent un plus grand contrôle sur ce que les autres perçoivent comme étant leurs désirs et leurs besoins, afin d'augmenter leur propre profit.»98
Bien sûr ces actions ont été qualifiées de violences par les pacifistes, les membres des média officiels, et assez ironiquement, par la police armée jusqu'aux dents, elle. Les membres du Black Bloc eux-mêmes le nient: « Nous soutenons que la destruction de la propriété privée n'est pas une activité violente à moins que ça ne détruise des vies ou cause de la douleur dans son déroulement. Par cette définition, la propriété privée – spécialement celle des compagnies – est en elle-même bien plus violente que toute action menée contre elle. »99 Il semble évident, à moins d'être un animiste irréductible, qu'il n'est pas possible de percevoir le fait de briser une fenêtre – surtout une vitrine, comparée à une fenêtre de chambre à coucher à 3h du mat – comme violent.
Mais comme le prémisse 5 le mentionne, quand la fenêtre appartient au riche, et la pierre au pauvre, cet acte est de l'ordre du blasphème. (…)
A présent voici ce qui est intéressant. Alors que les membres du Black Bloc brisaient ces vitrines, la police, occupée à tirer sur les désobéissants civils, (plusieurs pacifistes après ont affirmé que la police avait tiré à cause des membres du Black Bloc, mais ça n'est pas vrai, elle avait ouvert les feux bien avant que la première vitrine d'un Starbuck ait explosé) n'a pas été capable de protéger ces propriétés privées. C'est une bonne chose, non? Eh bien, selon certains de ces pacifistes, non. Ils se sont interposés pour protéger les compagnies, allant jusqu'à attaquer physiquement les individus qui visaient les biens de ces propriétés.102
Ces protecteurs de compagnies comptaient parmi eux des gens qui par ailleurs ont fait du bon boulot. Par exemple des politiciens verts/libéraux de longue date et des militants associés à Global Exchange, une organisation de « commerce équitable » qui cible les responsabilités des grandes compagnies et l'éradication des sweatshops dans le monde. Quiconque peut aller sur le site internet de Global Exchange et apprendre que « Global Exchange et d'autres organisations consacrées aux droits de l'homme se sont engagés dans l'éradication des ateliers clandestins et autres usines exploitant leurs ouvriers en organisant des campagnes auprès des consommateurs pour faire pression sur des compagnies comme GAP (…) et Nike afin que leurs travailleurs soient payés correctement et que leurs droits généraux soient respectés.»103 On peut aussi apprendre que « Malheureusement, il n'y a pas de grandes compagnies de vêtements qui ont conclu un agrément pour complètement éradiquer les pratiques abusives sur les travailleurs dans leurs usines. Pendant que nous continuons de faire pression pour qu'elles deviennent socialement responsables, nous, consommateurs, pouvons suivre les alternatives suivantes.» C'est mensonger de leur part d'utiliser alternatives au pluriel, car la seule alternative consiste à des variation sur un même thème résumé dans les trois termes suivants ( en caractères gras!): « Achetez Commerce Equitable! » Quelle coïncidence, les acheteurs peuvent acheter commerce équitable! Direct sur le site internet, car les bonnes gens de Global Exchange « offrent aux consommateurs l'opportunité d'acheter des cadeaux, des articles pour la maison, des bijoux, de la déco, des vêtements superbes, de bonne qualité de producteurs que (sic) l'on a payés correctement pour ce qu'ils ont produit. » (…)
J'ai été probablement été un peu sarcastique. Global exchange offre vraiment aux gens l'opportunité de changer les choses autrement qu'en achetant des trucs. Par exemple, en suivant un lien, vous pouvez « envoyer un fax à Philip Knight (le PDG) pour demander à Nike de prendre des mesures immédiates et concrètes afin d'assurer que les gens travaillant à la fabrique de leurs produits ne sont pas soumis à des abus et de l'intimidation. »108 Je suis sûr que Phil lira personnellement votre fax, et je suis sûr que le vôtre sera celui qui le convaincra d'abandonner de telles pratiques qui ont fait de lui un des hommes les plus riches du monde.
Si le fax ne marche pas, vous pouvez essayer la pierre sur la vitrine. Mais attention, les gens de Global Exchange n'approuveront probablement pas (voir prémisse 5).
Retour à Seattle, où des anarchistes vêtus de noirs sont en train de jeter des pierres sur les vitres de Nike et d'autres magasins, et où la police est absente. Qui est allé protéger les magasins? Les pacifistes à la rescousse. Beaucoup ont crié : « Vous ruinez notre manifestation! »109 et ont formé une chaine humaine devant les magasins. D'autres se sont mis à attaquer les casseurs de fenêtres en hurlant « C'est une manifestation non violente! »110 L'un d'eux a partagé son point de vue avec un journaliste du New York Times: « Ici nous sommes en train de protéger Nike, Mac Donald et Gap, et pendant tout ce temps je me demande:'où est la police? Ces anarchistes devraient être arrêtés.' »111 Des gamins du coin – des gens de couleur pour la plupart habitant l'équivalent des favelas à Seattle – (favela au Brésil, poblacione au Chili, villa miseria en Argentine, cantegril en Uruguay, rancho au Vénézuela, banlieue en France, ghetto aux Etats-Unis 112) se sont joints aux anarchistes, ont éclaté quelques vitrines et les ont délestées de quelques produits (je crois que le terme technique à utiliser ici est pillage). La foule des vandales (en latin vandalii, d'origine germanique: un membre du peuple germanique qui vivait dans une zone au sud de la mer Baltique, entre le Vistule et l'Oder, couvrant la Gaule, l'Espagne et l'Afrique du Nord dans les 4ème et 5ème siècles après JC et qui ont saccagé Rome en 445 – était la population la plus multiculturelle et multiraciale de toute la manifestation. (…) Des pacifistes ont été filmés en train d'attaquer des jeunes noirs – tout en chantant « manifestation non violente » – afin de les attraper et de les donner à la police. 114 Je suis sûr que ces jeunes, s'ils voulaient causer de réels dommages à Nike, pouvaient aller à la bibliothèque, utiliser un ordinateur, et envoyer un tas de fax à Phil Knight. Après avoir fini, ils pouvaient retourner dans leur ghetto et jouer de la musique avec des canettes pour distraire les touristes.
Tout ça pour dire que les pacifistes sont des partenaires un peu bizarres pour ce qui est de défendre les droits humains.



Endgame, Riposter, pp.80-84.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)



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Ndlt: en anglais, activist signifie militant, le français activiste semble en être un anglicisme, mais sa signification a viré un peu, elle est assez péjorative et désigne une branche extrémiste du militantisme.
98 ACME Collective, « N30 Black Bloc Communique », Infoshop, 04/12/1999, http://www.infoshop.org/octo/wto_blackbloc.htlm (accés le 16/03/2006)
99 Ib.
102 Ib.
103 « Socially Responsible Shopping Guide » Global Exchange, http://www.globalexchange.org/economy/corporations/sweatshops/ftguide.html (accès le 16/03/2002)
108 « Sweating for Nothing » http://globalexchange.org/economy/corporations/ (accès 16/03/2002)
109 « Report to the Seattle Council », 7,n.5.
110 « Frequently Asked Questions about Anarchist at the Battle for Seattle and N30 », Infoshop, 
http://infoshop.org/octo/a_faq.html (accès le 16/03/2002)
111 « Anarchists and Corporate Media » Le militant du Global Exchange a dénié avoir dit ça au journaliste du New York Times.
112 Loïc Wacquant, « Guetto, Banlieue, favela: tools for rethinking Urban Marginality », 
http://sociology.berkeley.edu/faculty/wacquant/condpref.pdf (accès 16/03/2002)
114 Ib.










Danser les baleines



















En ce moment ndlt des scientifiques sont en train de tuer les baleines à bec dans le Golfe de Californie. Les scientifiques, de la National science Fondation et de l'Université de Columbia, sont sur un bateau (le Maurice Ewing) possédant à bord une impressionnante artillerie à air comprimé qui envoie des explosions sonores de plus de 260 db. Ce serait pour cartographier le sol de l'océan. Ils disent que c'est pour étudier les fissures tectoniques, mais pour être honnête (pour ma part, pas pour la leur) les données qui en sont tirées sont cruciales pour l'extraction du pétrole des fonds sous marins.
Un son de 260 db est particulièrement fort. Pour comparer, 85 db commencent à causer des dommages à l'audition humaine. Une sirène de police à 30 m fait environ 100 db. Et les décibels sont des logarithmes, ce qui signifie que chaque hausse de 10 db doit être multipliée par dix pour donner une idée de l'intensité, et le son pour l'oreille deux fois plus forts (car la perception humaine est aussi logarithmique.) Dans ce cas, cela signifie que les explosions émanant du bateau de recherche scientifique sont environ dix quadrillions fois plus fortes qu'une sirène à 30 m, et retentirait à une oreille humaine dans les 16 384 fois plus fort (on peut arrondir aux 16000, dans les deux cas cela vous aurez tué). Le son d'un avion à réaction à 600 m est de 110 db. Les tirs du Ewing sont un quadrillion fois plus forts, et ont un retentissement sonore 8 192 fois plus fort. Un gros concert de rock en plein air s'estime à 120 db. (le seuil avant la douleur humaine, d'ailleurs): les baleines et les autres créatures du Golfe de Californie subissent des sons 100 trillions fois plus forts que ça. Le seuil mortel pour les humains est de 160 db. Les êtres vivants, – humains et non humains – meurent parce que le son forme une vague de pression (c'est pour cela que vous pouvez sentir votre corps vibrer (…)) Des vagues trop fortes percent les tympans, les poumons et les autres tissus vibratoires, ce qui cause des hémorragies internes. Deux cent soixante décibels: c'est 10000 fois plus de bruit qu'une explosion nucléaire à 500 m.
Ce sont des assauts de telles intensités que subissent les baleines et les créatures du Golfe de Californie.
Les baleines vivent avec leur audition. Elles communiquent avec, émettant des chants complexes que nous ne comprendrons probablement jamais. (…) Lorsqu'elles subissent des telles intensités sonores elles ne chantent plus, parfois pendant des jours: ce qui veut dire qu'elles ne mangent plus, ne se reproduisent plus, et ne dorment plus. Elles perdent leur audition. Rupture de tympans. Hémorragies cérébrales. Elles meurent.
Depuis que les expérimentations ont commencé, on a découvert des cadavres de baleines sur les plages du Golfe de Californie. Des scientifiques, des biologistes marins de la National Marine Fisheries Services, des spécialistes des mammifères marins comme des gens qui aiment les baleines ont écrit aux sponsors de ces expéditions. L'Université de Columbia n'a pas répondu. La National Science's Fondation a répondu en ces mots: « Il n'y a pas de preuve qu'il y ait quel que lien que ce soit entre les opérations du Ewing et les baleines échouées qui ont été signalées (sic). »153
Je dois être honnête avec vous, au risque de vous offenser ou de vous aliéner. Quand je lis ça, quelle torture et quel massacre des scientifiques de la National Science's Fondation ont commis sur les baleines, et ce qu'ils répondent via leurs avocats, ma première réaction est de souhaiter que quelqu'un colle un revolver sur la tempe de ces scientifiques et tire. Si cette personne se retrouvait (malheureusement) prise par la police, elle pourrait répondre qu'« il n'y a pas de preuve qu'il y ait quel que lien que ce soit entre l'opération de ce revolver et les trous dans les têtes de ces hommes qui ont été signalés. »
(…) Je ne reviendrai pas sur ce souhait. Il faut que les responsabilités soient assumées dans cette toile qui ne lie rien. Et qu'on les désigne vite.
Je ne doute pas que les baleines seraient d'accord.



Endgame, Choix, pp.143-145.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)




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ndlt:   en 2002.
153:   La National Science Fondation au Center for Biological Diversity, 16/10/2002,
http://biologicaldiversity.org/swcbd/species/beaked/NSFResponse.pdf (...)

Effondrements



















(…) Une amie m'a téléphoné, Roianne Ahn, une femme intelligente et suffisamment obstinée pour que même un DEA en psychologie n'ait pas biaisé sa façon de voir comment les gens pensent et agissent. « Cela n'a jamais cessé de me stupéfier, » a-t-elle dit, « qu'il faille des experts pour nous convaincre de ce que nous savons déjà. »
Ce n'était pas la réponse à laquelle je m'attendais.
Elle continuait: « C'est un de mes rôles en tant que thérapeute. Je ne fais qu'écouter et refléter aux patients les choses qu'ils connaissent, mais ils n'ont pas assez confiance pour y croire jusqu'à ce qu'un expert extérieur le leur dise. »
« Penses-tu que les gens vont écouter ces scientifiques?ndlt »
« Cela dépend à quel point ils sont dans le déni. Mais le facteur décisif est que ce qu'ils décrivent n'est pas une grosse surprise. C'est ce qui se passe quand une personne est sous le stress: elle prend sur elle jusqu'à ce qu'elle s'écroule. C'est ce qui arrive dans les relations avec les autres. Ça arrive dans les familles. Ça arrive dans les communautés. Naturellement ça serait vrai dans ces cas-là aussi, à grande échelle. »
« Qu'entends-tu par là? »
« Nous travaillons du mieux que nous le pouvons, souvent au-delà de nos capacités, pour maintenir une stabilité, mais quand la pression est trop forte, il faut que ça casse. Nous nous effondrons. Parfois c'est mauvais, parfois c'est bien. »
Il y eut un silence pendant lequel je pensais au fait que certains effondrements ne sont pas nécessaires – quand des prisonniers craquent sous la torture, le démantèlement systématique de l'estime de soi sous le broyage d'un régime parental ou sentimental abusif, l'apocalypse écologique qui est en cours – alors que d'autres peuvent être salutaires.
Elle continuait: « La raison pour laquelle les gens essaient de maintenir des structures curatives qui peuvent les rendre heureux est évidente. Elle est moins évidente quand nous, et je m'y inclus moi-même, essayons de maintenir des systèmes qui rendent les gens misérables. Nous sommes tous familiers avec la notion que beaucoup d'accrocs doivent toucher le fond avant de changer, même quand leur dépendance est en train de les tuer. »
J'ai demandé: « Quand penses-tu que la culture changera? »
« Cette culture est clairement dépendante de la civilisation » a-t-elle dit. « Donc je pense que la réponse à cette question en pose une autre: jusqu'où cela ira avant de toucher le fond? »



J'ai parlé à une autre amie de tout cela. C'était tard dans la nuit. Le vent soufflait dehors. L'ordinateur était éteint. Nous entendions le vent. Cette amie, un excellent penseur et écrivain, avait habité à New York, et portait une certaine estime non seulement pour cette grande villes, mais aussi pour les grandes villes en général. Elle éprouvait à la fois de la sympathie et de l'exaspération envers moi et ce que je disais. Après avoir discuté des heures, elle demanda, assez raisonnablement, « De quel droit tu te permets de dire aux gens qu'ils ne peuvent pas vivre dans les grandes villes? »
« Aucun. Je me moque complètement de là où les gens vivent. Mais les gens qui vivent dans les grandes villes n'ont pas le droit de demander – en encore moins de voler – les ressources de tous les autres. »
« Ça te pose un problème si les citadins les achètent juste? »
« Acheter les ressources, ou les gens? » J'étais en train de penser à une phrase d'Henry Adams: « Nous avons un seul système,» a-t-il écrit, et dans « ce système la seule question est le prix auquel le prolétariat est acheté et vendu, le pain et le cirque. »41
Elle n'a pas ri à ma plaisanterie. Elle ne pensait pas que c'était drôle. Moi non plus, mais probablement pour une raison différente.
J'ai demandé: « Les acheter avec quoi? »
« Nous leur donnons de la nourriture, nous leur donnons de la culture. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne? »
Ah, j'ai pensé, elle suit la ligne de pensée de Mumford. J'ai demandé: « Et si les gens de la campagne n'aiment pas l'opéra, ou Oprah, d'ailleurs? »
« Ce n'est pas juste l'opéra. De la bonne nourriture, des livres, des idées, tout le bouillonnement culturel. »
« Et si les personnes de la campagne aime leur propre nourriture, leurs propres idées, leur propre culture? »
« Ils vont avoir besoin de protection. »
« Pour être protégés de qui? »
« Des bandes errantes de maraudeurs. Les bandits qui vont leur voler leur nourriture. »
« Et si les seuls voleurs sont les gens qui vivent dans les grandes villes? »
Elle hésita avant de parler: « Des biens manufacturés, alors? A cause des économies d'échelle, les gens dans les grandes villes peuvent importer des matières premières de la campagne, les transformer en objets que les gens peuvent utiliser et les leur vendre en retour. » Son premier diplôme était en Economie.
« Et si les gens dans les campagnes ne veulent pas non plus de biens manufacturés? »
« La médecine moderne alors. »
« Et s'ils n'en veulent pas? Je connais plein d'Indiens qui aujourd'hui refusent toute médecine occidentale. »
Elle a ri et dit, « donc nous allons dans des directions opposées. Tout le monde veut des Big Macs. »
J'ai secoué la tête, et plus ou moins ignoré sa plaisanterie, comme elle a ignoré la mienne, pour peut-être la même raison. « Les gens veulent ce genre de choses seulement une fois que leur propre culture ait été détruite. »
« Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de les détruire. Il vaut bien mieux les convaincre. La modernité, c'est bien. Le développement, c'est bien. La technologie, c'est bien. Le choix de consommer, c'est bien. Tu pense que ça sert à quoi, la publicité? »
Peut-être que Henry Adams et le satiriste romain Juvenal auraient dû mentionner la publicité avec le pain et le cirque. Et peut-être qu'ils auraient dû mentionner l'importance des définitions des dictionnaires pour garder les gens dans les rangs. J'ai maintenu mon cap: « Les cultures intactes ouvrent généralement grand leur porte aux biens de consommation seulement si ceux-ci arrivent à main armée. Sûr, ils pourraient ramasser et choisir, mais ce n'est pas assez pour contre-balancer la perte de leurs ressources. Pense à ce qu'ont fait l'ALENA ou le GATT aux pauvres du Tiers-Monde, ou aux EU. Pense à ce qu'a fait Perry au Japon, ou à la guerre de l'opium, ou – »
Elle m'a coupé: « Je vois où tu veux en venir. » Elle a réfléchi un moment. « Au lieu d'articles manufacturés, donne-leur de l'argent. Un bon prix. Sans les arnaquer. Ils peuvent acheter ce qu'ils veulent avec tout leur argent, ou plutôt notre argent. »
« Et s'ils ne veulent pas d'argent? Et s'ils préfèrent avoir leurs ressources? Et s'ils ne veulent pas vendre parce qu'ils veulent ou ont besoin des ressources elles-mêmes? Et si toute leur façon de vivre est entièrement dépendante de ces ressources, et qu'ils préfèrent leur façon de vivre – par exemple, chasser et cueillir – à l'argent? Ou s'ils ne veulent pas vendre parce qu'ils ne croient pas en l'achat et la vente? Et s'ils ne croient pas aux transactions économiques? Ou même au-delà, et s'ils ne croient pas en l'idée même de ressources? »
Elle s'est retrouvée un peu ennuyée. « Ils ne croient pas aux arbres? Ils ne croient pas que les poissons existent? Qu'est-ce que tu penses qu'ils attrapent quand ils partent à la pêche? Qu'est-ce que tu es en train de me dire? »
« Ils croient aux arbres, et ils croient aux poissons. C'est juste que les arbres et les poissons ne sont pas des ressources. »
« Qu'est-ce que c'est, alors? »
« D'autres êtres. Tu peux tuer pour manger. Cela fait partie de la relation. Mais tu ne peux pas les vendre. »
Elle a compris. « Comme les Indiens pensaient. »
« Ils pensent encore, » ai-je dis. « De nombreux Indiens traditionnels. Et les grandes villes sont devenues si grandes maintenant – la mentalité citadine a grandi pour inclure toute la culture de la consommation – que les gens dans les campagnes ne peuvent certainement pas tuer assez pour nourrir la ville sans abîmer leur propre terre. Ils ne le pourraient jamais, par définition. Ce qui nous ramène à la question: Et s'ils ne veulent pas vendre? Les gens des villes ont-ils le droit, quand même, de prendre leurs ressources? »
« Comment ils font pour manger, autrement? »
Nous entendîmes encore le vent dehors, et la pluie commença à éclabousser la vitre. La pluie arrive souvent à l'horizontal ici à Crescent City, ou Tu'nes.
Elle a dit: « Si j'étais à la tête d'une grande ville, et que mes habitants – mes habitants, quelle expression intéressante, comme si je les possédais – mourraient de faim, , je prendrais la nourriture par la force. »
Plus de vent, plus de pluie. J'ai dis: « Et si tu as besoin d'esclaves pour faire marcher tes industries? Tu les prendrais aussi? Et si tu as besoin non pas seulement de nourriture et d'esclaves, mais si le pétrole est le sang de toute ton économie, et le métal ses os? Et si tu as besoin de tout ce qui vit sous le soleil? Vas-tu tout prendre? »
« Si j'en ai besoin – »
Je l'ai coupée: « Ou considères que tu en as besoin... »
Ca ne semblait pas la déranger. « Oui, » a-elle dit songeuse. Je pouvais voir qu'elle était en train de changer d'avis. Nous sommes restés silencieux un moment, puis elle a dit: « Et il y a la terre. Les grandes villes abîment la terre sur laquelle nous sommes. »
J'ai pensé aux chaussées, à l'asphalte. L'acier. Les gratte-ciel. J'ai pensé à un chêne vieux de 500 ans que j'ai vu à NYC, sur une pente dominant le fleuve Hudson. J'ai pensé à tout ce que cet arbre avait vu. D'abord un gland tombé dans une forêt ancienne – excepté que à l'époque il n'y avait aucune raison de qualifier cette forêt d'ancienne ou autrement que chez lui. Il a germé dans cette communauté variée, assisté à la course des poissons sautant dans l'eau du fleuve si puissamment qu'ils menaçaient d'emporter les filets de ceux qui voulaient les attraper, vu les communautés humaines vivant dans cette forêt, les humains qui ne les appauvrissaient pas, mais plutôt les renforçaient en étant réellement présent, par ce qu'ils rendaient à leur terre. Il a vu l'arrivée de la civilisation, la construction d'un village, d'une ville, d'une cité, d'une métropole, et de là, comme Mumford l'a présenté, la « Parasitopolis s'est transformée en Patholopolis, la cité des désordres mentaux, moraux, corporels, et finalement a terminé en Nécropolis, La Cité du Mort. »42 En cours de route, il a dit au revoir au bison des bois, au pigeon voyageur, au courlis Esquimau, au grand marronnier d'Amérique, aux blaireaux du Labrador qui longeaient les rives du Hudson. Il a dit au revoir (du moins pour maintenant) aux humains vivant de façon traditionnelle. Il a dit au revoir à ses arbres voisins, à la forêt où sa vie a commencée. Il a vu l'étalement de milliards de tonnes de ciment, l'érection de structures d'acier rigides et des édifices en briques au sommet en fil de rasoir.
Malheureusement, il n'a pas vécu assez longtemps pour voir tout ça tomber. L'arbre, je l'ai appris l'année dernière, n'est plus. Il a été coupé par un propriétaire inquiet que ses branches ne tombent sur son toit. Des environnementalistes – faisant ce qu'il nous semblait le mieux à faire – se sont réunis pour prier sur sa souche.
Je lui ai raconté cette histoire.
« Putain, » a-t-elle dit, « je capte. » Elle a secoué la tête. Des cheveux châtain pâle sont tombés pour couvrir un oeil. Elle a fait la moue, comme souvent elle fait quand elle réfléchit. Elle a dit finalement, « Merde. » Ensuite elle a souri juste légèrement, bien que je pourrais dire à ses yeux qu'elle était fatiguée. Elle a dit tout à coup, « Tu sais, si nous allons causer tous ces dégâts, le moins qu'on puisse faire est de dire la vérité. »






Endgame, Catastrophe, pp.44-45.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)




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ndlt   Derrick Jensen venait de lire un article scientifique parlant de la réactivité des écosystèmes aux impacts de la pollution, que ceux-ci pouvaient endurer une situation pendant un certain temps, parfois longtemps, avant de s'effondrer sans même un signe avant-coureur.
41    Cité par Vidal Gore, The Decline and fall of the America Empire, Odonian Press, Berkeley, 1995, p.19.
42    Mumford, Pentagon, gravure 24.

Génération vroum-vroum



















Il y a des années j'étais en voiture avec un ami et camarade militant Georges Draffan. C'est celui qui a le plus influencé ma réflexion comme aucune autre seule personne. C'était par un jour très chaud en Spokane. Le trafic était lent. Une longue ligne attendait à un feu. J'ai demandé: « Si tu pouvais choisir de vivre dans un niveau de technologie quel qu'il soit, lequel ce serait? »
Il pouvait aussi bien être amical, militant, que particulièrement grincheux. Et il était dans cette dernière humeur. Il a dit: « C'est une question stupide. Nous pouvons fantasmer sur le fait de vivre comme nous le voulons, mais le seul niveau technologique qui soit viable est l'Age de Pierre. Ce que nous avons maintenant est un moindre biiip – nous sommes une des quelques six ou sept générations qui a déjà eu à entendre le son affreux de la combustion d'un moteur (spécialement les deux-roues) – et en temps voulu nous retournerons dans l'âge où les humains ont vécu la plus grande partie de leur existence. Dans quelques centaines d'années, au plus. La seule question sera ce qu'il restera du monde quand nous en serons arrivés là. »
Il a raison, bien sûr. On n'a pas besoin d'être une flèche en sciences pour comprendre que tout système social basé sur l'utilisation de ressources non renouvelables est par définition non viable: en fait probablement n'importe qui, sauf une flèche en sciences, peut le comprendre. L'espoir de ceux qui souhaitent perpétuer cette culture repose dans quelque chose appelé « ressource de substitution », par laquelle une ressource épuisée est remplacée (je suppose qu'il y a au moins un espoir prévalant celui-ci, c'est que si l'on ignore les conséquences, elles n'existeront pas). Bien sûr, sur une planète aux ressources de facto limitées, cela reporte simplement l'inévitable à plus tard, en même temps que d'ignorer les dégâts causés. Et devine ce qu'il restera de vivant quand on aura épuisé la dernière substitution? Question: quand il n'y aura plus de pétrole, quelle ressource sera le substitut afin que l'économie industrielle continue de fonctionner?
Prémisses non formulés:
a)  des substituts tout aussi efficaces existent;
b)  nous voulons maintenir l'économie industrielle;
c)  son maintien est plus important pour nous (ou plutôt pour ceux qui décident) que les vies humaines et non humaines détruites par l'extraction, le raffinage et l'utilisation de cette ressource.
Similairement, toute culture basée sur l'utilisation non renouvelable de ressources renouvelables est de la même manière non viable: si de moins en moins de saumons reviennent chaque année, tôt ou tard aucun ne reviendra. Si il y a de moins en moins de forêts anciennes chaque année, tôt ou tard il n'y en aura plus. Encore une fois, la substitution de celles qui sont épuisées par d'autres ressources, sauvera, certains le disent, la civilisation jusqu'à la prochaine fois. Mais au « mieux »ndlt, ça retiendra l'inévitable un peu plus longtemps pendant que ça causera encore plus de dégâts sur la planète. C'est ce que nous voyons, par exemple, dans l'effondrement de la pêche un peu partout dans le monde: comme on a depuis longtemps pêché à outrance les poissons les plus économiquement rentables, à présent on s'attaque même à ceux qu'on jetait par dessus bord auparavant, le tout avalé, disparu dans, littéralement parlant, l'insatiable gouffre de la civilisation.
Une autre façon d'avancer tout ça est que tout groupe d'êtres vivants (humains, ou non humains, plantes ou animaux) qui prend plus à ce qui les environne que ce qu'ils peuvent rendre en retour, épuisera, manifestement, son environnement, après quoi il aura ou à bouger, ou sa population va se ramasser (ce qui, par l'occasion, va à l'encontre de la notion comme quoi la compétition dirige la sélection naturelle: si vous hyper-exploitez votre environnement, vous l'épuiserez et vous mourrez; la seule manière pour survivre à long terme est de rendre plus que ce que vous prenez.Hé!) Cette culture – la Civilisation Occidentale – a appauvri tout ce qui l'entourait pendant 6000 ans, débutant au Moyen-Orient, et s'attaquant à présent à la planète entière. Pourquoi d'autre cette culture devrait-elle s'étendre continuellement? Et pourquoi d'autre, qui coïnciderait avec ça, pensez-vous qu'elle a développé une rhétorique – une série d'histoires qui nous apprend comment vivre – explicitant non seulement la nécessité mais aussi la désirabilité et même la moralité de l'expansion continuelle, – dans l'entêtement d'aller là où aucun homme n'a encore mis les pieds – comme prémisse si fondamental qu'il en devient invisible? Les grandes villes qui sont les représentations par définition de la civilisation ont toujours eu besoin de prendre les ressources de la campagne environnante, ce qui signifie, premièrement, qu'aucune grande ville n'a jamais été ou ne sera jamais viable par elle-même, et, deuxièmement, que dans le but de poursuivre leur extension incessante, les grandes villes doivent étendre incessamment les endroits qu'elles hyper-exploitent. Je suis sûr que vous pouvez voir les problèmes que cela présente et le point de non retour vers lequel cela tend dans le cadre d'une planète de facto limitée. Si vous ne pouvez pas ou ne n'avez pas la volonté de voir ces problèmes, alors je vous souhaite bonne chance pour votre carrière dans les affaires ou la politique. Vues les conséquences, cette propension collective, obsessionnelle à zapper ce point de non retour que nous venons d'étudier, passe pour le moins pour être des plus étranges.




Endgame, Catastrophe, pp.35-36.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)




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Ndlt: les guillemets sont de nous.