De la violence domestique à la violence culturelle





















A présent je trouve cette liste très intéressante en elle même, et vu le taux de femmes agressées (juste dans ce pays, une femme est battue par son partenaire toutes les 10 secondes), elle a aussi son importance. Mais je l'ai trouvée encore plus intéressante lorsque j'ai plaqué ces signes d'alerte sur la culture en général.

Jalousie.
Le Dieu de cette culture a toujours été jaloux. Nous pouvons lire, ça et là dans la Bible: « car je suis l'Éternel ton Dieu, qui est jaloux, punissant l'iniquité des pères sur les enfants, jusqu'à la troisième et à la quatrième génération de ceux qui me haïssent.»162 ou « tu ne te prosterneras pas devant d'autres dieux, ou devant les dieux des peuples qui t'entourent (…) tu n'imiteras point ces peuples dans leur conduites, mais tu les détruiras, tu briseras leurs statues.» Le Dieu d'aujourd'hui est tout aussi jaloux, qu'il prenne le nom de Science, Capitalisme ou Civilisation. La science est aussi monothéiste que la chrétienté, d'autant plus qu'elle n'a pas besoin de dire qu'elle est jalouse: nous avons si bien intériorisé son hégémonie que beaucoup d'entre nous croient que la seule voie pour tout connaître sur le monde doit passer par la science: la Science est la Vérité. Le Capitalisme est si jaloux qu'il n'a même pas pu permettre l'existence de sa propre version soviétique (ce sont deux économies commandées par des États subventionnés,164 (…)) La Civilisation est juste aussi jalouse que la science et le capitalisme, interdisant systématiquement à qui que ce soit de percevoir le monde autrement qu'en termes utilitaires, qu'en termes d'esclavage, de dépendance, donc rationnellement. Beaucoup de penseurs se définissant comme libres penseurs aiment évoquer les dizaines de millions de personnes qui ont été tuées parce qu'elles refusaient la suprématie du Dieu Amour chrétien – parce que Dieu est après tout un dieu jaloux – mais par contre mentionnent très rarement les centaines de millions de (indigènes ou autres) gens qui ont été tués parce qu'ils refusaient la suprématie du Dieu de la civilisation de la production, un Dieu tout aussi jaloux que le Dieu chrétien, un Dieu profondément dévoué à la conversion morbide du vivant.

Contrôle.
Cela fait deux jours à présent que je réfléchis à ce que je vais mettre dans ce paragraphe. J'ai pensé à parler des systèmes scolaires publics, qui a comme fonction primordial de briser les volontés de l'enfant – en les faisant rester assis à une place pendant des heures, des jours, des semaines, des mois, des années jusqu'à la fin, laissant leur vie filer – pour les préparer à leur futur d'esclave salarié. Après j'ai pensé à la publicité, et plus largement à la télévision, et comment dans nos vies entières nous sommes manipulés par des autres lointains qui n'ont pas nos intérêts les meilleurs à cœur. (…) J'ai pensé au Communiqué du Joint Vision 20/20 et ses objectifs de « domination à large spectre. » J'ai pensé au décret de sécurité intérieure de 2002, voté au Sénat à 90 voix pour 9, qui, même dans les mots de l'écrivain conservateur Willian Saffire, signifie que « Chaque achat que vous faites avec une carte de crédit, chaque abonnement à un magazine, chaque ordonnance médicale, chaque site web visité, chaque e-mail envoyé ou reçu, chaque grade académique reçu, chaque dépôt d'argent sur votre compte, chaque voyage que vous faites et chaque événement auquel vous assistez – toutes ces transactions et ses communications iront dans ce que le département de la Défense appelle 'une immense base de données centralisée virtuelle'. A ce dossier informatisé de votre vie privée vous pouvez ajouter tous les documents que le gouvernement a sur vous – passeport, permis de conduire, péages passés, divorce ou rapport juridique en tout genre (…) toute votre vie tracée sur papier en plus des vidéo surveillances – et vous avez le rêve (…): une « information totale » sur chaque citoyen américain. »167 J'ai pensé à la science, qui a pour but ultime (et immédiat) la conversion du sauvage et de l'imprévisibilité du monde naturel dans quelque chose d'ordonné, et de contrôlable. Il y a simplement énormément d'exemples dans les bases de notre culture pour ce qui est du besoin de contrôler pour en choisir. Vous choisissez.

L'engagement rapide:
Je ne suis pas sûr que vous puissiez être moins prompts à choisir que ces Indiens à qui on a donné à choisir, les pieds sur un bûcher, entre le christianisme et la mort. Un Indien a dit en guise de réponse, que s'il se convertissait au Christianisme, alors il irait au Paradis après la mort, et y retrouverait tous les autres chrétiens, c'est cela? Et bien qu'il préférait être brûlé.
Mais il y a quelque chose d'autre à propos de cette rapidité. La civilisation est présente sur ce continent depuis seulement quelques centaines d'années. Il y a beaucoup d'endroits dans ce continent, comme celui où je vis, qui ont été civilisés très récemment. Cependant dans ce très court terme cette culture nous a enrôlés et embarqué la terre dans la grande marche technologique tout comme elle a anéanti la production naturelle de ce continent, en réduisant le vivant à l'esclavage, en terrorisant, et/ou en éradiquant ses habitants non humains et en donnant les choix aux humains entre la civilisation et la mort. Une autre façon de dire ça est qu'avant l'arrivée de la civilisation les humains vivaient sur ce continent depuis au moins une dizaine de milliers d'années, et probablement depuis bien plus longtemps, et pouvaient boire sans problème l'eau des sources et des rivières. Après le court séjour de cette culture, non seulement l'eau des rivières mais toute la nappe phréatique a été intoxiquée, mais aussi même le lait des mères. C'est un engagement extraordinaire et extraordinairement immédiat de notre façon de vivre (ou de ne pas vivre!) dans la voie de la technologie. Autrement dit: actuellement la décision de contrôler et de tuer une rivière en construisant un barrage prend quelques années, le temps de rédiger un Communiqué sur les Impacts Environnementaux et de trouver des financements. Le processus devrait prendre une décade ou deux., tout au plus. Mais une telle décision, si elle doit être vraiment prise, devrait l'être après des générations d’observations: comment pouvez-vous savoir ce qui est le mieux pour chaque composant d'une terre si vous n'interagissez pas avec assez longtemps pour connaître ses rythmes? (…)
Si nous n'étions pas si agressifs avec la terre, les uns envers les autres, envers nous-mêmes, nous retournerons nous asseoir pour voir ce que la terre a à nous donner, ce qu'elle veut que nous possédions, ce qu'elle attend de nous, en quoi elle a besoin de nous.
Mais nous sommes agressifs, et en un battement de paupières à l'échelle d'une montagne nous avons forcé ce continent (et le monde) à entrer dans une relation reposant sur la violence. La bonne nouvelle est que la nouvelle semble être sur le point de se mettre à se débarrasser de cette relation.

La dépendance.
Un des avantages de ne pas à avoir à importer de ressources est que vous ne dépendez ni des propriétaires de ces ressources ni de la violence nécessaire pour les éradiquer et prendre leurs possessions. Un des avantages de ne pas posséder d'esclaves est que vous n'avez pas besoin d'eux ni pour votre « confort et votre raffinement » ni même pour ce qui est nécessaire à la survie. Nous sommes actuellement dépendants du pétrole, des barrages, notre train de vie (ou, ici encore, de non-vie) repose sur l'exploitation. Sans ça beaucoup d'entre nous perdraient leur identité.
Bien sûr tout le monde est dépendant. Une des grandes vanités de ce train de vie est de prétendre que nous sommes indépendants de nos terres, et bien sûr de notre corps: que les rivières pures (comme le lait maternel sans toxines) et les forêts intactes sont du luxe. Nous prétendons que nous pouvons détruire le monde et vivre avec. Nous pouvons empoisonner notre corps et vivre avec.
C'est insensé. Les Tolowa dépendaient des saumons, des myrtilles, des biches, de l'oseille, comme de tout ce qui les entourait. Mais c'était réciproque, comme dans toute relation établie depuis longtemps.
J'ai passé quelques jours à essayer de comprendre les différences entre ces deux formes de dépendance: la dépendance parasite entre le maître et l'esclave, entre l'intoxiqué et sa toxine d'un côté, et la réelle dépendance selon laquelle la vie repose sur l'autre. C'est sûr, dans certains cas la différence est évidente: la dépendance ne va que dans un sens. Le monde naturel ne gagne rien de notre exploitation abusive, ou du moins il n'en tire rien ( et les dioxines ne comptent pas.) (…) Mais dans d'autres cas la différence devient plus subtile. Mes étudiants prisonniers ont gagné quelque choses de la drogue, de quelle que manière que ce soit, ou alors ils ne les auraient pas volontairement prises. Les adultes aux prises dans une relations violentes ont manifestement gagné quelque chose de cette relation – ou du moins l'ont perçu comme ça – sinon ils auraient pris la tangente. Alors quoi? La vie de mes étudiants n'a par été pour parler ainsi remplie d'amour mais plutôt de sévices qui feraient même passer mon père pour un saint. Beaucoup ont grandi dans un climat d'oppression sociale et raciale. Pour eux peut-être la drogue a neutralisé, comme ils disent, une réalité qui les oppressait. Mais cela va plus loin: je sais que beaucoup d'indigènes dans le monde peuvent utiliser des drogues hallucinogènes ou psychotropes dans des rituels (ou alors de façon très ponctuelle) pour accroître sa perception et sa compréhension. Quelle est la relation, s'il y en a une, entre l'usage des drogues de mes étudiants et celle des indigènes? Je ne sais pas. Et jusqu'à présent dans le cadre de la violence domestique, je sais que dans ma propre famille, ma mère était convaincue (par mon père et par la société) qu'il n'y avait pas d'autres options, que de quitter la personne qui la violentait lui causerait une plus grande souffrance. Elle pourrait perdre ses enfants et probablement sa vie. En échange de sa souffrance émotionnelle et physique, elle pouvait vivre dans une belle maison. (…)




Endgame, Abus, pp.160-164.
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas)



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162 Exode, 20:5.
164 Et pour ceux qui sont assez naïfs pour croire que le Capitalisme est guidé par quelque main invisible mythique issue de quelque mythique Marché Libre, je vais donner ces propos de quelqu'un que vous pourriez connaître, Dwayne Andreas, le PDG de Archer Daniels Midland, une agrocorporation qui a fait beaucoup pour détruire la vie des familles de fermiers dans le monde: « Il n'y a pas un seul grain de quoi que ce soit dans le monde qui soit vendu au sein du marché libre. Le seul endroit où vous voyez du marché libre, c'est dans les discours des politiciens. »
167 Safire William, « You are a Suspect », New York Times, 14/11/2002.

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