Victimes du 911 vs. toutes les autres





















Après le 9/11, le New York Times se mit à publier des profils de personnes tuées lors de l'attaque du WTC. Ces profils furent rendus publics dans le pays, nous plongeant dans les détails de la vie de ces morts. Ainsi nous apprenons que l'un des morts était un « cadre performant » qui « n'oubliait jamais de consacrer une grande énergie à faire son travail et ses jeux avec minutie. 'Ca ne brillera pas tout seul' répliquait-il quand des gens admirait sa voiture vintage. » Nous apprenons qu'un autre était « fou de Mantle » et « restait un supporter invétéré des Yankees … Même quand ses deux fils devinrent fans des Mets. » Un troisième, nous apprenons, était un « courtier au sommet » et un « blagueur au grand cœur » qui « se serait arrêté à côté de vous, dans sa Porche – une 911 – aurait fait un bras d'honneur en souriant, et se serait envolé d'un coup de vent. 1» Un ami de New York, a dit, en parlant des profils: « Je sens le Pulitzer. »
Voici ma question: quel est le prémisse (et le but) de ces profils? La réponse la plus basique est claire, que les morts sont des individus qui méritent d'être considérés. Ou, comme quelqu'un l'a mis dans sa lettre à l'éditeur, « J'apprécie les efforts pour rendre aux victimes un visage humain … Elles méritent qu'on se souvienne d'elles. Elles méritent que justice soit faite. »2
Voici une autre question qui m'intéresse encore plus: quel est le prémisse (et le but) du silence qui entoure les victimes dans notre façon de vivre? La réponse est claire, là aussi, bien que nous n'en parlons pas ou n'y pensons même pas.
Bien sûr.



Imaginez comment notre discours et nos actions seraient différents si on détaillait quotidiennement pour nous les vies – les individualités, les petites et grandes joies, les peurs, les tristesses – de ceux que notre culture a réduits en esclavage ou tués. Imaginez si nous leur avions donné cet honneur, cette attention. Imaginez si les quotidiens tenaient un compte-rendu de tous les enfants qui meurent de faim parce que les villes prennent les ressources dont les communautés traditionnelles de ces enfants ont toujours dépendu. « Elle n'a jamais couru, aurait écrit l'article, parce qu'elle n'en a jamais eu la force, mais elle aimait qu'on la taquine, et elle aimait regarder sa mère, peu importe ce qu'elle faisait. Quand sa mère la portait dans une écharpe sur son dos, ses grands yeux absorbaient tous les détails de ce qui l'environnait. Elle aimait sourire à ses voisins, et sourire aussi aux petits oiseaux qui venaient atterrir aux pieds de sa mère. » Imaginez si nous considérions que sa vie a autant de valeur que celle du « cadre performant » et si nous considérions la violence qu'elle a subie comme étant aussi ignoble que celle qu'il a subie.



Imaginez, aussi, si notre discours incluait la prise en compte de tous les êtres non humains dont les vies sont d'une misère innommable à cause de cette culture: les milliards de créatures élevées pour être torturées dans des fermes d'engraissement, en élevage intensif, ou dans les laboratoires; les créatures sauvages qui rapportent de l'argent, traquées et massacrées où qu'elles se cachent; les créatures sauvages que le système économique considère sans valeur, qui sont éliminées parce qu'elles entravent la production. Imaginez si nous parlions de l'épinoche à trois épines, du papillon bleu de Miami, de l'haliotis blanc, de l'eider à lunettes, du moucherolle des saules, du milk-vetch de Homlgren, la micro souris du Pacifique, aussi bien individuellement que collectivement. Imaginez, finalement, si nous considérions leur vie avec autant de valeur que la nôtre, et leur contribution au monde et à ce qui nous entoure comme ayant autant de valeur – ou même plus – que celle du courtier, même si c'est le courtier qui conduit une Porche, fait un bras d'honneur et s'envole d'un coup de vent.





Endgame, Violence, pp.58-59.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)



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1 « The Victims; the fight against terrorism. » The Oregonian, 16 janvier, 2002, A2.
2 Oxborrow Judith, The Oregonian, 20 janvier, 2002, F1.








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