Chap.2 La Chaine des êtres
Personne ne remet en cause le fait que les humains sont plus intelligents et supérieurs à tous les autres parce que nous avons vraiment un gros cerveau. Comme un site web plutôt narcissique le proclame : " Le cerveau humain est le phénomène le plus complexe [sic] connu de tout l'univers."
[...]
Mon
quatrième problème avec [cette] notion est que si nous pensons
vraiment avec nos cerveaux, nous devons reconnaître qu'il y a plein
d'êtres avec un cerveau plus gros que le nôtre. Misère ! Les êtres
humains d'il y a 5000 ans avaient un cerveau plus large de 10% que
celui des êtres humains d'aujourd'hui. Je devine que ça veut dire
que nous sommes plus stupides de 10% que nous l'étions alors. Cela
pourrait expliquer bien des choses, des fondamentalismes de tous
genres à la culture pop aux présidentielles à la politique de
l'environnement à l'existence d'un environnementalisme verdoyant aux
arguments stupides de la suprématie humaine. Les hommes de
Néandertale aussi avaient un cerveau plus large que les autres
humains, ce qui pourrait expliquer pourquoi ils n'ont jamais créé
de publicité d'assurance clamant que c'est si simple que même un
homme des cavernes peut le faire. En tout cas, si l'intelligence ou
la supériorité se mesure par la taille du cerveau, les humains
perdent. Le cerveau humain moyen pèse environ 1.5kg. Les morses en
ont un presque aussi gros, plus d'un kilo. Les éléphants en ont un
bien plus gros, 4,5kg. Et les baleines en ont un de 2 à 8 kg.
Mais
attendez, je peux vous entendre dire, changeant les règles au cours
de la conversation, la taille intrinsèque du cerveau n'est pas
importante. La taille par rapport à la masse corporelle est ce qui
compte dans l'intelligence et la particularité et toutes les
merveilles succulentes qui font les humains si significatifs et tout
le reste insignifiant! Bien sûr un gros animal a besoin d'un gros
cerveau pour contrôler ses mouvements.
Ou quelque chose.
Laissons
le fait que les gros animaux n'ont pas vraiment besoin de gros
cerveau - le stégosaure pesait 4 ou 5 tonnes et avait un cerveau de
moins de 100 grammes - et prenons cet dernier argument. Le cerveau
humain représente 2.5% de la masse corporelle. Malheureusement pour
nous, c'est la même chose pour une souris. Le cerveau des passereaux
représente 8% de leur masse corporelle. Le cerveau des musaraignes
représente 10%
de leur masse corporelle.
Bien,
c'est embarrassant. Je devine que comme nous n'avons gagné contre
aucun de ces arguments, nous allons devoir revenir avec une autre
façon de déterminer l'intelligence.
(...)
Le
plus gros problème est le champignon.
introduction: la suprémacie humaine (extrait 2)
L'année dernière quelqu'un du journal en ligne Nature [sic] m'a interviewé par téléphone. J'ai mis un sic car le journal a plus à voir avec la promotion de la suprématie humaine - la croyance que les humains sont séparés de et supérieur à tout être vivant sur cette planète - qu'avec le monde réel. Voici une des "questions" de l'intervieweur : " Il est certain que la nature peut être appréciée seulement des humains. Si la nature cessait d'exister, elle ne s'en rendrait elle-même pas compte, comme elle n'en a pas la conscience (du moins c'est cas de la plupart des animaux et des plantes, avec une exception possible pour les baleines et les cétacés) et que la vie ne peut que conduire à l'homéostasie, la nature est indifférente à sa propre existence. Ainsi ce que la nature réalise n'a d'intérêt que ce que notre conscience évalue."
Au moment où il me disait ça, je regardais à travers la vitre de ma fenêtre une maman ourse allongée sur le dos dans l'herbe haute, avec ses deux oursons jouant sur son ventre, et le troisième clairement appréciant ses proches et l'herbe et le soleil. J'ai répondu : " Comment pouvez-vous oser dire que ces autres n'apprécient pas la vie!" Il a insisté, non ils ne l'appréciaient pas.
Je lui ai demandé s'il connaissait un de ces ours, personnellement.
Il a trouvé la question absurde.
C'est pourquoi le monde est en train d'être assassiné.
Introduction: la suprémacie humaine
Je
suis assis au bord d'un étang, sous la lumière du soleil qui a
l'inclinaison et la couleur d'un début d'automne. Le vent souffle
sur les cimes des arbres de la forêt secondaire, sequoias,
cèdres,sapins, aulnes, saules. Des bourdonnements s'agitent dans les
joncs, les buissons, les herbes, et tournent la tête ici et là. La
soie d'une araignée scintille. Une libellule stagne au-dessus de
l'eau pas loin de moi, et puis soudainement monte se percher sur un
buisson.
Une
famille de geais se cause.
Je
sens cette odeur caractéristique, légèrement âcre du sequoia et
sens simultanément l'odeur
tout aussi caractéristique, bien que totalement différente, de mon
propre corps animal.
Un
petit passereau, je ne sais lequel, apparait sur ses deux pattes au
bord de l'eau. Il s'arrête, fait quelques mouvements de tête, puis
picore le sol.
Un
mouvement attrape mes yeux, et je vois des épines de sequoia tomber
doucement par terre. Çà a aidé l'arbre. A présent ça aidera le
sol.
Un
jour je vais mourir. Et vous aussi, un jour. Un jour nous deux vous
et moi et nous nourrirons - bien plus que nous le faisons maintenant,
à travers notre peau, à travers nos excrétions, a travers d'autres
moyens - ces communautés qui nous ont nourris. Et là, maintenant,
au milieu de cette beauté, toute cette vie, tous ces autres - jonc,
saule, libellule, araignée, sol, eau, vent, nuages - il semble que
c'est non seulement manquer de générosité mais aussi de
reconnaissance que de jalouser le don présent et futur de ma propre
vie à ces autres sans qui ni moi ni cet endroit serions ce que nous
sommes, sans qui ni moi ni cet endroit ne serions.
The Myth of human supremacy (avril 2016) , prélude
Notre façon de nous comporter dans le monde est profondément influencée par la façon dont nous vivons le monde, laquelle est profondément influencée par la façon dont nous percevons le monde, laquelle est profondément influencée par ce que nous croyons à propos du monde.
Notre
comportement collectif est en train de tuer la planète.
Il
n'est pas complètement hors de propos, alors, de se demander quelles
sortes de croyances (perceptions, expériences) pourraient être
amenées à ces comportements destructeurs, et de se demander comment
nous pouvons changer ces croyances de sorte à ce que nous stoppions,
ni plus ni moins, le meurtre de la planète.
On
nous a appris, par la grande voie ou la petite, religieuse ou laïque,
que la vie est basée sur les hiérarchies, que ceux qui sont tout en
haut de ces hiérarchies dominent ceux d'en dessous, aussi bien dans
le droit que le devoir. On nous a appris qu'il y a des myriades de
chaines alimentaires littérales et métaphoriques où celui qui se
trouve tout en haut est le roi de la jungle.
Et
s'il n'était pas question de régner mais de participer? Et si la
vie ressemblait moins à un plateau de jeux type Risk ou Monopoly, et
plus à une symphonie ? Et si la question n'était pas pour les
joueurs de violon de couvrir les joueurs de haut bois (ou pire, les
couvrir littéralement ou au moins les conduire hors de l'orchestre
et prendre leur place pour y mettre encore plus de violonnistes),
mais de faire de la musique avec eux? Et si la question était pour
nous de tenter d'apprendre notre propre rôle dans cette symphonie,
et d'ensuite laisser jouer ce rôle ?
Derrick
Jensen, Californie du nord, janvier 2016