Psychopathologie





























L'isolement a d'étranges conséquences sur l'esprit d'une personne. C'est vrai pour toute créature sociale, humaine ou autre. Des singes enlevés à leur mère dès leur naissance placés seuls dans une chambre en acier inoxydable et privés de tout contact social avec d'autres animaux (…), développent des maladies mentales irréversibles. Comme l'un des experts de cette recherche, Harry Harlow, a dit : « une isolation sociale suffisamment sévère et prolongée réduit ces animaux à un niveau socio-émotionnel dont la première réponse sociale est la peur. »
Harlow et d'autres scientifiques, Stephen Suomi, se sont demandés s'ils pouvaient induire une psychopathologie chez des primates en retirant des bébés singes de leur mère naturelle et en les plaçant dans des cages avec « des vêtements se substituant à la mère et qui pourraient devenir des monstres ». Ils ont créé un substitut de vêtement incarnant une « mère monstrueuse » qui « éjecterait de l'air compressé en quantité » et qui « décollerait presque la peau de l'animal ». Ils en ont créé une autre qui « secouerait le bébé si violemment que sa tête et ses dents s'entrechoqueraient », et finalement une « mère porc-épic » qui sur commande aurait « des pics jaillissant de son ventre ». Dans les premiers cas, les bébés se raidissaient en se cramponnant, parce que, comme les scientifiques le rapportent, « un bébé effrayé se cramponne à sa mère à tout prix.», et dans le dernier cas, le bébé singe se retirait, attendait que les pics rentrent, et revenait se cramponner à ce qu'il percevait comme étant sa mère.
Harlow et Suomi ont finalement découvert que les meilleures mères monstrueuses qu'ils pouvaient créer étaient simplement le produit de leurs précédentes expérimentations : les singes élevés dans l'isolement. Ces singes (…) étaient trop effrayés pour interagir normalement avec leurs semblables, et étaient incapables d'avoir des relations sexuelles. C'est sans problème que les scientifiques ont engrossé des femelles avec ce qu'ils appelaient un « viol-éprouvette ». Quand les bébés sont nés, les mères n'avaient aucune idée de ce qu'il fallait faire d'eux. Beaucoup ont ignoré leur enfant, pendant que d'autres, selon les propos d'Harlow et Suomi, « étaient brutale ou létale. Un de leur truc favori était de croquer le crâne de l'enfant avec leurs dents. Mais le comportement le plus pathologique était de plaquer violemment la tête de l'enfant à terre et de frotter le sol avec. »
Il y a deux semaines j'ai reçu un courrier de l'Executive Summary of the third National Incidence Study of Child Abuse and Neglect. Ce rapport très compréhensible estimait qu'en 1993, environ 614000 enfants américains avaient été physiquement abusés, 300000 sexuellement abusés, 532000 émotionnellement abusés, 507000 physiquement négligés, et 585000 émotionnellement abusés. 565000 de ces enfants ont été tués ou très sévèrement blessés.
Quelle est la relation entre ces chiffres et notre isolement du monde naturel - l'isolement du rapport à autrui, de l'altérité, cet enchâssement social par lequel nous avons évolué- induit par la culture ?





A Language older than Words, Œillères culturelles, pp.38-39.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)









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