Mais écoute...
























J'ai appelé mon amie, Jeannette Amstrong, une Indienne traditionnelle Okanagan, elle est écrivain, professeure et philosophe. Elle voyage beaucoup pour travailler sur la souveraineté indigène et les problèmes de droits terriens, et aide à la reconstruction des communautés natives détruites par la culture dominante. Je lui ai parlé des interactions avec les coyotes, en lui disant: « Je ne sais pas quoi faire de tout ça. »
Elle a ri, puis dit: « Si, tu sais. »
Quelques semaines plus tard nous nous sommes promenés et nous nous sommes assis sur la rive escarpée d'une rivière. Je me suis allongé sur la poussière rouge et joué avec les courbes d'une racine d'arbre qui sortait de terre. En face de nous des tourbillons entrainaient paresseusement des branches d'arbres dans des circuits d'eau. A chaque courbe les branches se brisaient presque pour échouer sur la rive et glisser encore dans le courant. Au dessus des tourbillons la rivière coulait doucement et au dessus de la rivière on pouvait voir des peupliers de Virginie et des meules de foin dans l'étendue des près entrecoupée de champs d'alfafa entourés de barbelés. Au loin, les plaines donnaient sur des petites montagnes bleues.
Jeannette a dit: « L'attitude que l'on a sur la communication entre les espèces est la différence première entre les philosophies occidentales et indigènes. Même les philosophes occidentaux les plus progressistes continuent en général de croire qu'écouter la terre est une métaphore. » Elle a fait un pause, puis continué avec emphase: « Ce n'est pas une métaphore. C'est comme ça que le monde existe. »
J'ai regardé la rivière. Il serait facile d'observer les tourbillons et d'en tirer une demi douzaine de leçons, par exemple la métaphore évidente des branches flottant en cercles, comme les gens piégés par une mentalité étriquée qui ne leur permet pas de retrouver une liberté d'esprit. Il n'y a rien de faux, certainement, avec ces métaphores fabriquées à partir des choses qui nous entourent, ou des expériences des autres – humains ou autre – mais dans les deux cas ces situations des autres reste une étude de cas dans laquelle nous projetons tout ce que nous avons besoin d'apprendre. Et cela relève de circonstances complètement différentes par rapport au fait d'écouter l'autre dans ce qu'il a à dire, de révéler ses intentions, exprimer ce qu'il vit et de le faire dans ses termes.
Certainement ce serait aller dans la bonne direction si notre culture pouvait accepter la notion d'écouter la terre – ou de tout écouter, dans ce cas – même si nous pensons qu'écouter reste du domaine de la métaphore. Un Indien Diné a dit que l'uranium empoisonnait les gens par ses radiations parce qu'il n'aimait pas être sorti du sous sol. Il veut y revenir, s'éloigner de la surface de la terre. Que l'on considère son affirmation comme métaphorique ou littéral, la leçon est la même: extraire l'uranium nous rend malade.
Mais garder un point de vue métaphorique c'est garder un point de vue anthropocentrique. Dans ce cas le point de vue métaphorique exprime une considération pour les gens empoisonnés par l'uranium. L'observation de l'Indien Diné fait un commentaire sur le fait qu'il est important de respecter l'ordre des choses;
J'en ai parlé à jeannette, puis suis resté assis en silence en pensant à deux conversations que j'avais engagés, une deux ans avant et une plus récemment. Dans la première j'étais assis sur le sol de mon salon, en train de parler à une amie scientifique qui insistait sur le fait que la méthode scientifique – par laquelle un observateur fait une hypothèse, puis réunit des données pour tester rigoureusement sa faisabilité – est en fait la seule façon pour nous d'apprendre. Un de mes chats est entré dans la pièce, et mon amie a dit: « Hypothèse: les chats ronronnent quand on les caresse. » Elle a gratté le tapis, et le chat est venu vers elle. Elle lui a caressé le dos. Le chat a ronronné. « Hypothèse validée, a-t-elle dit, premier échantillon. Où est l'autre chat? »
Je savais que je n'étais pas d'accord, mais cela m'a pris un moment pour articuler mon raisonnement. J'ai dit finalement qu'électrocuter ou câliner un chat, si c'est pour collecter des données, c'est objectiver le chat. « Et si, j'ai dit, je le câline parce que j'aime le câliner et parce que je sais qu'il aime ça? Je peux quand même y prêter attention et apprendre de cette relation. C'est ce qui se passe avec mes amis, alors pourquoi pas avec le chat? Mais la question est d'entretenir une relation, pas de collecter des données. »
Elle a hésité, enroulé des mèches de cheveux autour de ses doigts, comme elle fait souvent quand elle est en mode contemplation, et dit alors, « Je pense que cela changerait toute la notion de ce qu'est le savoir, et comment nous l'acquérons. »
J'ai acquiescé. Le chat, quant à lui, s'est mis sur ses deux pattes arrière pour frotter sa tête sur le bras de mon amie. Machinalement mon amie s'est mise à lui gratter le dos.
L'autre conversation a été plus courte, et montre que les arbres peuvent être assez taciturnes. J'étais en train de prendre la route poussiéreuse qui mène à ma boîte aux lettres, et qui croise une route pavée. J'ai remarqué un vieux pin juste dans le coin que je remarquais à chaque fois que je faisais ce chemin et j'ai pensé: «  Cet arbre se débrouille bien. »
Immédiatement j'ai entendu une réponse qui ne m'est pas passée par l'oreille mais est arrivée directement à la partie de mon cerveau qui traite les sons. J'ai entendu une suite de ma pensée qui en changeait la signification: « pour un arbre qui est tout seul. » J'ai regardé autour de moi et vu que bien qu'il y avait quelques arbres dans les environs, il n'y avait pas à proprement dit d'arbres ensemble. Avec les quelques arbres se trouvaient ma boîte aux lettres et un pylône téléphonique enduit de créosote. J'ai commencé à penser au fait qu'il n'y avait pas de communauté, à mes déménagements successifs du Nebraska au Maine au Nebraska, puis au Montana, au Colorado pour les études, le Nevada, la Californie, des mois passés à vivre dans mon camion, retour au Nevada, puis en Idaho, à Washington. J'ai pensé aux gens que j'ai laissé, ma grand-mère, mes frères, ma sœur et aussi des amis. Le fossé d'irrigation derrière ma vieille maison. Les trembles que je voyais de la fenêtre, les oliviers russes, les énormes fourmilières dans les près. Toutes ces pensées étaient le fruit de mes associations, pas ce que l'arbre avait « dit ». C'était la différence cruciale. L'arbre a dit une phrase. Tout le reste est venu après. Essayez vous-mêmes. Écoutez quelqu'un, et portez attention sur là où vos pensées vous mènent. Ce n'est vraiment pas le même ressenti d'écouter et de penser.
J'ai parlé à Jeannette de ces deux conversations. Nous avons continué à parler, sur la rivière, sur son militantisme et le mien, sur ce qu'il faudra aux humains pour survivre. Alors que nous discutions un moustique est venu tournoyer autour de son visage, puis s'est posé sur son bras. Elle a fait un geste pour le chasser.
Je lui ai parlé des chiens, et comment ils ont cessé de manger les œufs dès lors que je le leur ai demandé: «  je n'y crois pas tant cela a été facile. » « Ouais. C'est ce que nous essayons de vous dire depuis 500 ans, a-t-elle répondu. »





A Language Older than Words, Des Coyotes, des chatons et des conversations, pp.24-27.
Derrick Jensen  (traduit en français par Les Lucindas)











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