PTSD domestique et culturel
Depuis enfant, déjà, je me demandais: si le comportement destructeur de cette culture ne nous rend pas heureux, pourquoi le suivons-nous?
Il m'est venu plusieurs réponses depuis. Toutes, malheureusement, désignent le caractère intraitable de cette pulsion destructrice. Dans mon livre A Language Older than Words, une partie de ma réponse expliquait que la culture entière souffrait de ce que la spécialiste en traumatisme Judith Herman appelle état de stress post traumatique ou le complexe PTSD. Aujourd'hui le PTSD de base est familier à beaucoup d'entre nous, si ce n'est dans notre corps, au moins avons-nous lu quelque chose à ce propos. Le PTSD est une réponse somatique à un traumatisme, une terreur extrêmes, à une perte de contrôle, de connexion, qui peut se passer au moment du traumatisme, quand, comme Herman l'avance, « la victime est rendue impuissante par une force écrasante. »83 Cette force peut être non humaine, comme une tremblement de terre ou un incendie, ou inhumaine, comme la violence sur laquelle cette culture est basée: le viol, les coups et blessures, etc, qui caractérisent tant ses pratiques sentimentales et éducatives; la guerre omniprésente dans ses pratiques politiques; cette coercition grinçante qui enveloppe le reste de cette culture, son économie, son système scolaire, etc. Herman affirme que « les réactions traumatiques entrent en jeu quand rien d'autre ne peut se faire. Quand ni la résistance ni la fuite ne sont possibles, le système humain d'auto défense (et la même chose est tout aussi vraie pour les non humains) est submergé et se désorganise. »84 Les gens traumatisés, écrit-elle, « ressentent et agissent comme si leur système nerveux avait été déconnecté du présent. »85 Ils vivent en état de vigilance, sentant le danger partout. Certains facteurs déclencheurs entraînent des « flashbacks », comme un enfant qui a été battu par un parent pendant des vacances au ski nautique, par exemple, peut, même devenu adulte, devenir terrifié ou plein de rage quand il se retrouve dans une situation similaire. La même chose peut arriver à une femme qui a été violée dans un certain modèle de voiture. Et l'adulte peut se poser des questions sur cette soudaine source de peur ou de colère. Ceux qui ont été traumatisés peuvent se retrouver dans un état de reddition. Ce sentiment, entraîné par une situation d'impuissance ou toute résistance était inutile, peut perdurer longtemps dans l'existence. Lorsqu'on a dû affronter une situation de menace émotionnelle, quelle qu'elle soit, on peut se mettre à trembler, à ne plus pouvoir résister même quand une résistance est faisable ou nécessaire.
Toute cette culture est si violente, si traumatisante, comme je le défendais dans A Language, qu'elle a mis la plupart d'entre nous, à un degré ou à un autre, en état de choc, et par conséquent incapables de prendre conscience ou même d'imaginer à quoi la vie ressemblerait sans être habitée par la peur. Cette peur, en fait, est si profonde qu'elle en est devenue normalisée, codifiée dans cette culture, et fonde toute la société entière.
Je suis sûr que vous pouvez voir ces symptômes non seulement parmi vos amis qui ont été traumatisés, que ce soit de manière ridicule ou évidente, mais dans l'ensemble de la culture: la culture est certainement déconnectée du moment présent, autrement il ne nous serait pas possible de tuer la planète (et les uns les autres) au nom de la production; elle voit le danger partout lorsqu'il n'y en a nulle part (la politique, la science, la technologie, la religion et une grande partie de sa philosophie sont fondées sur la notion que le monde est une vallée de larmes et de dangers); cela se manifeste d'autre part dans une incompréhensible rage (et peur) à l'encontre des indigènes partout, tout comme à l'encontre du monde naturel; et bien sûr ceux d'entre nous qui haïssent la destruction n'arrivent pas systématiquement à résister à quoi que ce soit qui s'approche d'une mode significative.86
Mais il y a plus que ça. Judith Herman a défini un nouveau genre de PTSD. Elle a demandé ce qui arrivait aux gens qui avaient été traumatisés non pas par un incident distinct – par exemple, un tremblement de terre ou un viol – mais qui ont plutôt subi une « sujétion à un contrôle totalitaire sur une longue période (des mois ou des années) ».87 Ou, j'aurais ajouté, durant les 6000 années de civilisation. Elle inclut non seulement les otages, les prisonniers de guerre ou autres, mais aussi ceux qui ont survécu à une violence domestique qui les a tenu captifs pendant de longues années. Concernant ces derniers, elle a demandé ce qui arrivait à ceux dont la personnalité est non seulement déformée par une violence continue subie dans leur vie d'adulte, mais aussi ceux qui ont vécu une telle violence dans leur vie d'enfant. La réponse est qu'ils peuvent souffrir d'amnésie, oubliant ainsi la souffrance de leur enfance (ou, j'aurais encore une fois ajouté, dans notre cas plus large, la violence sur laquelle, pour choisir un exemple, repose le droit des blancs aux terres nord américaines). Ils peuvent souffrir d'un sentiment d'impuissance. Ils peuvent s'identifier avec leur bourreau. Ils peuvent penser qu'une relation mutuelle positive est impossible, et croire à la place que toutes les relations sont basées sur la force, le pouvoir. Ils peuvent en venir à croire que le plus fort domine le plus faible, que le faible domine le plus faible que lui et que les plus faibles de tous survivent comme ils peuvent.
Il m'est venu plusieurs réponses depuis. Toutes, malheureusement, désignent le caractère intraitable de cette pulsion destructrice. Dans mon livre A Language Older than Words, une partie de ma réponse expliquait que la culture entière souffrait de ce que la spécialiste en traumatisme Judith Herman appelle état de stress post traumatique ou le complexe PTSD. Aujourd'hui le PTSD de base est familier à beaucoup d'entre nous, si ce n'est dans notre corps, au moins avons-nous lu quelque chose à ce propos. Le PTSD est une réponse somatique à un traumatisme, une terreur extrêmes, à une perte de contrôle, de connexion, qui peut se passer au moment du traumatisme, quand, comme Herman l'avance, « la victime est rendue impuissante par une force écrasante. »83 Cette force peut être non humaine, comme une tremblement de terre ou un incendie, ou inhumaine, comme la violence sur laquelle cette culture est basée: le viol, les coups et blessures, etc, qui caractérisent tant ses pratiques sentimentales et éducatives; la guerre omniprésente dans ses pratiques politiques; cette coercition grinçante qui enveloppe le reste de cette culture, son économie, son système scolaire, etc. Herman affirme que « les réactions traumatiques entrent en jeu quand rien d'autre ne peut se faire. Quand ni la résistance ni la fuite ne sont possibles, le système humain d'auto défense (et la même chose est tout aussi vraie pour les non humains) est submergé et se désorganise. »84 Les gens traumatisés, écrit-elle, « ressentent et agissent comme si leur système nerveux avait été déconnecté du présent. »85 Ils vivent en état de vigilance, sentant le danger partout. Certains facteurs déclencheurs entraînent des « flashbacks », comme un enfant qui a été battu par un parent pendant des vacances au ski nautique, par exemple, peut, même devenu adulte, devenir terrifié ou plein de rage quand il se retrouve dans une situation similaire. La même chose peut arriver à une femme qui a été violée dans un certain modèle de voiture. Et l'adulte peut se poser des questions sur cette soudaine source de peur ou de colère. Ceux qui ont été traumatisés peuvent se retrouver dans un état de reddition. Ce sentiment, entraîné par une situation d'impuissance ou toute résistance était inutile, peut perdurer longtemps dans l'existence. Lorsqu'on a dû affronter une situation de menace émotionnelle, quelle qu'elle soit, on peut se mettre à trembler, à ne plus pouvoir résister même quand une résistance est faisable ou nécessaire.
Toute cette culture est si violente, si traumatisante, comme je le défendais dans A Language, qu'elle a mis la plupart d'entre nous, à un degré ou à un autre, en état de choc, et par conséquent incapables de prendre conscience ou même d'imaginer à quoi la vie ressemblerait sans être habitée par la peur. Cette peur, en fait, est si profonde qu'elle en est devenue normalisée, codifiée dans cette culture, et fonde toute la société entière.
Je suis sûr que vous pouvez voir ces symptômes non seulement parmi vos amis qui ont été traumatisés, que ce soit de manière ridicule ou évidente, mais dans l'ensemble de la culture: la culture est certainement déconnectée du moment présent, autrement il ne nous serait pas possible de tuer la planète (et les uns les autres) au nom de la production; elle voit le danger partout lorsqu'il n'y en a nulle part (la politique, la science, la technologie, la religion et une grande partie de sa philosophie sont fondées sur la notion que le monde est une vallée de larmes et de dangers); cela se manifeste d'autre part dans une incompréhensible rage (et peur) à l'encontre des indigènes partout, tout comme à l'encontre du monde naturel; et bien sûr ceux d'entre nous qui haïssent la destruction n'arrivent pas systématiquement à résister à quoi que ce soit qui s'approche d'une mode significative.86
Mais il y a plus que ça. Judith Herman a défini un nouveau genre de PTSD. Elle a demandé ce qui arrivait aux gens qui avaient été traumatisés non pas par un incident distinct – par exemple, un tremblement de terre ou un viol – mais qui ont plutôt subi une « sujétion à un contrôle totalitaire sur une longue période (des mois ou des années) ».87 Ou, j'aurais ajouté, durant les 6000 années de civilisation. Elle inclut non seulement les otages, les prisonniers de guerre ou autres, mais aussi ceux qui ont survécu à une violence domestique qui les a tenu captifs pendant de longues années. Concernant ces derniers, elle a demandé ce qui arrivait à ceux dont la personnalité est non seulement déformée par une violence continue subie dans leur vie d'adulte, mais aussi ceux qui ont vécu une telle violence dans leur vie d'enfant. La réponse est qu'ils peuvent souffrir d'amnésie, oubliant ainsi la souffrance de leur enfance (ou, j'aurais encore une fois ajouté, dans notre cas plus large, la violence sur laquelle, pour choisir un exemple, repose le droit des blancs aux terres nord américaines). Ils peuvent souffrir d'un sentiment d'impuissance. Ils peuvent s'identifier avec leur bourreau. Ils peuvent penser qu'une relation mutuelle positive est impossible, et croire à la place que toutes les relations sont basées sur la force, le pouvoir. Ils peuvent en venir à croire que le plus fort domine le plus faible, que le faible domine le plus faible que lui et que les plus faibles de tous survivent comme ils peuvent.
Endgame, Irrécupérable, pp.69-70
Derrick Jensen (traduit en français par Les Lucindas)
....................................................................................................................
83 Herman Judith Lewis, Trauma and Recovery: the aftermath of violence – from domestic abuse to political terror, Basic Books, NY, 1992, p.33.
84 Ibid. p.34
85 Ib. p.35
86 Ib.Chap2.
87 Ib. p.121.
0 Responses to “PTSD domestique et culturel”:
Enregistrer un commentaire